Benozzo Gozzoli, Le triomphe de saint Thomas d'Aquin, 1471

jeudi 16 février 2012

Le R.P. Fessio S.J. et la « réforme de la réforme »

             Voici une réflexion du R.P. Joseph Fessio S.J. On the Celebration of Mass. Comme elles expriment des préoccupations que nous partageons, nous y renvoyons nos lecteurs :

    Le nihilisme contemporain selon Montherlant

                Singulier Montherlant ! L’homme privé fut celui que nous révéla Pierre Sipriot dans Montherlant sans masque[1], et l’écrivain se fit le chantre de l’alternance : Don Juan l’après-midi, Mère Angélique le soir. Pourtant, plus d’une fois, il a vu le néant où s’engouffrait son époque, il l’a dit  - et si bien dit :

    Histoire des dix dernières années
    Les hommes sensés de Lacédémone montraient à leurs enfants un ilote ivre, pour leur faire voir ce qu’ils ne devaient pas être.
    Ensuite un temps vint où les hommes sensés (ou tenus pour tels) montrèrent à leurs enfants un ilote ivre, pour leur faire voir ce qu’ils devaient être.
    Enfin l’ilote ivre, devenu modèle idéal montra à ses enfants l’homme sensé, pour leur faire voir ce qu’ils ne devaient pas être.

    Henry de Montherlant, La Marée du soir, Carnets 1968-1971,
    Paris, Gallimard, 1972.

    La sincérité de l’auteur semble hors de doute lorsqu’il s’indigne ainsi, non sans décrire d'avance le monde tel qu’il serait quarante ans après son suicide, et beaucoup mieux que ne savent le faire tant d'experts ecclésiastiques. Peut-être ce sentiment si juste de la déchéance de toute une génération aura-t-il servi, au dernier instant, de levier à la divine miséricorde ? C’est le secret de Dieu. Sainte Mère de Dieu, priez pour nous à l'heure de la mort !


    [1] P. Sipriot, Montherlant sans masque, Paris, Librairie générale française, 21992.

    mercredi 15 février 2012

    Le relativisme contemporain selon Chateaubriand

                Grand sensitif, l’Enchanteur était aussi à maints égards un voyant, dont le regard semble avoir entrevu ce que serait notre époque, plus de cent cinquante ans après sa mort. Voici une description qui nous semble excessive pour le dix-neuvième siècle auquel elle s’applique, et qui en revanche anticipe parfaitement la bassesse de notre temps :

    Il n’existe plus rien : autorité de l’expérience et de l’âge, naissance ou génie, talent ou vertu, tout est nié ; quelques individus gravissent au sommet des ruines, se proclament géants et roulent en bas pygmées. Excepté une vingtaine d’hommes qui survivront et qui étaient destinés à tenir le flambeau à travers les steppes ténébreuses où l’on entre, excepté ce peu d’hommes, une génération qui portait en elle un esprit abondant, des connaissances acquises, des germes de succès de toutes sortes, les a étouffés dans une inquiétude aussi improductive que sa superbe est stérile. Des multitudes sans nom s’agitent sans savoir pourquoi, comme les associations populaires du moyen âge : troupeaux affamés qui ne reconnaissent point de berger, qui courent de la plaine à la montagne et de la montagne à la plaine, dédaignant l’expérience des pâtres durcis au vent et au soleil. Dans la vie de la cité tout est transitoire : la religion et la morale cessent d’êtres admises, ou chacun les interprète à sa façon. Parmi les choses d’une nature inférieure, même impuissance de conviction et d’existence, une renommée palpite à peine une heure, un livre vieillit dans un jour, des écrivains se tuent pour attirer l’attention ; autre vanité : on n’entend pas même leur dernier soupir.

    Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, livre 44, ch. 2,
    éd. M. Levaillant – G. Moulinier, [Bibliothèque de la Pléiade], t. II,
    Paris, Gallimard, 1958, p. 917.


    Le vicomte écrivait cela en un moment où vivaient Chopin ou Corot, et avant que ne parussent le baron Haussmann ou le renouveau thomiste… Que dirait-il aujourd’hui ? Il nous reste le passé, Benoît XVI, et surtout les paroles de la Parole faite chair, celles qui ne passeront pas.

    Convegno « I trascendentali e il trascendentale » dell’Ateneo Regina Apostolorum

                Segnaliamo ai nostri lettori residenti in Urbe il Convegno organizzato dalla Facoltà di Filosofia dell’Ateneo Pontificio Regina Apostolorum, che avrà luogo il giovedì 15 ed il venerdì 16 marzo 2012. Sarà dedicato ad un tema di alto interesse metafisico: «I trascendentali e il trascendentale. Percorsi teoretici e storici». Programma ed orario si possono vedere qua:

    lundi 13 février 2012

    In B. Virginem Montium

    In B. Virginem Montium

    Salve lumen montis
    quod formidat hostis,
    sol super culmina
    in alpibus altis.

    Splendens sicut aurum
    in nive fulgidum,
    pura sicut fontes
    e saxis fluentes.

    Alba sicut marmor,
    formosa sicut flor,
    nemorisque sacri
    suavis ut odor.

    Sicut luna dulcis
    in requie noctis,
    dum lacus alpestris
    murmurans relucet.

    Ad te, Mater Virgo,
    veni clamans ego,
    ut me recipiat
    montis solitudo !

    Sine ad te fugere,
    sine circumflere
    et, saeculo procul,
    hanc vallem complere.

    Nam plusquam lilia,
    rosae matutinae,
    tibi placet piae
    flos penitentiae.

    Ad te cum ascendam,
    fac ut inveniam,
    me pulsante, apertam
    Coelorum januam.
                            Amen !

    Gonzague de Reynold, Prières,
    Fribourg (Suisse), Éditions de la Librairie de l’Université,
    1942, p. 36-37.

    dimanche 12 février 2012

    Un document déjà ancien à propos de la déclaration conciliaire « Dignitatis Humanae »

                Comme chacun le sait, la déclaration Dignitatis Humanae du 7 décembre 1965 sur la liberté civile en matière religieuse est l’un des points majeurs du refus que la Fraternité Saint-Pie X oppose au concile Vatican II. Pour notre modeste part, nous n'éprouvons aucune difficulté à reconnaître la continuité profonde du Magistère sur cette question. Mais alors que ce problème est à nouveau agité ici ou là, de manière beaucoup plus passionnelle qu’analytique, il nous semble utile de remettre sous les yeux de nos lecteurs le texte complet de la « Réponse aux dubia présentés par S.E. Mgr Lefebvre » que le Saint-Siège avait fait parvenir à l’intéressé in illo tempore. On peut le télécharger librement à l’adresse internet suivante, et on y retrouvera les thèses si clairement exprimées par le cardinal Journet :


    Gonzague de Reynold, « Soir d’hiver »

    SOIR D’HIVER

    Le brouillard tombe sur la ville,
    blanc dans la nuit ; tout est tranquille.

    Il a neigé : l’on n’entend pas
    sur le pavé le bruit des pas.

    Dans mon âme, quelle tristesse
    comme un brouillard tombe sans cesse ?

    Ce n’est pas même le chagrin :
    fatigue, ennui, désir, dédain ;

    Ce n’est pas même la souffrance :
    souvenance et désespérance.

    Sans violence et sans douleur
    la tristesse envahit mon cœur.

    Un flocon s’envole, léger
    -         et mon cœur voudrait s’alléger.

    Sur la neige, un rayon livide :
    mon Dieu ! tout est vain, tout est vide.

    Le rayon meurt, et tout est noir :
    dormons dans la glace du soir.

    Gonzague de Reynold, Mémoires, t. II,
    Genève, Éditions Générales, 1960, p. 309.


    Facile plagiat de Verlaine ? Romantisme juvénile (l’auteur n’avait pas dix-neuf ans lorsqu’il écrivit ces vers) ? Que non ! En toute époque, la mélancolie est connaturelle au sage, tandis que le temps fuit inexorable, et que l’Éternel ne nous parle que derrière les voiles de la foi. Et que dire de cette époque-ci, si dégénérée qu’elle ignore complètement sa propre barbarie ! 

    samedi 11 février 2012

    Claude Lorrain, « Didon montrant Carthage à Énée »

                 On sait que, Junon ayant ordonné à Éole de déchaîner les vents contre les vaisseaux troyens, Énée et ses compagnons furent rejetés loin de l’Italie et durent aborder aux rives de Carthage, sur laquelle régnait l’impérieuse Didon. Le pieux Énée lui conte ses malheurs deux livres durant, si bien que la reine brûle pour lui d’un feu aveugle et d’abord secret :

    At regina graui iamdudum saucia cura
    uolnus alit uenis et caeco carpitur igni.
    Multa uiri uirtus animo multusque recursat
    gentis honos ; haerent infixi pectore uoltus
    uerbaque, nec placidam membris dat cura quietem[1].

    Mais cet amour sera bientôt partagé, et le fils de Vénus n’aura d’autre ressource, pour rester fidèle à la mission que lui ont assignée les dieux, que de fuir la belle Phénicienne. Éperdue, celle-ci perd la raison, et finit par se jeter sur le glaive du Dardanien.
                Sans se référer à un épisode particulier, Claude Lorrain construit ici une scène au cours de laquelle Didon présente à Énée la cité qu’elle a fondée. Antithèse de Rome, et comme elle urbs fatalis, mais en un autre sens, Carthage est sise au fond d’une baie qui ressemble à l’estuaire du Tibre. A gauche et en retrait, le bois sacré que domine un arbre majestueux, au-dessous duquel s’élève le temple que Didon y avait édifié en l’honneur de Junon, et auquel notre peintre a donné la physionomie du Panthéon :

    Lucus in urbe fuit media, laetissimus umbrae,
    quo primum iactati undis et turbine Poeni
    effodere loco signum, quod regia Iuno
    monstrarat, caput acris equi ; sic iam fore bello
    egregiam et facilem uictu per saecula gentem.
    Hic templum Iunoni ingens Sidonia Dido
    condebat, donis opulentum et numine diuae,
    aerea cui gradibus surgebant limina nexaeque
    aere trabes, foribus cardo stridebat aenis[2].

    De l’autre côté du port, où mouillent les navires rescapés,  s’élève un promontoire où nous voyons la Reine accompagner sur le parvis de son palais Énée, son fils Ascagne et un soldat troyen ; elle est suivie par deux dames de compagnie, deux lévriers, et quelques soldats de sa garde. Le ciel commence à se couvrir au-dessus de la demeure royale, ce qui assombrit la lumière de l’ensemble : sans doute Claude veut-il évoquer discrètement la tragédie qui se prépare. Au loin, au contraire, la côte est encore baignée d’une douce lumière méditerranéenne – anticipation de l’Italie où le destin appelle Énée ? En tout cas, la structure de la composition est parfaitement lisible, car elle dépend de la diagonale qui sépare les personnages et les architectures de droite, et le paysage maritime de gauche : la culture et la nature dirait-on aujourd’hui ; mais derrière la nature, il y a le soleil et les dieux, et ce sont eux qui prononcent le fatum, en vertu duquel Didon mourra, tandis qu’Énée vivra et remplira la mission qu’il a reçue de Jupiter, malgré les entraves de Junon.
                Hans-Urs von Balthasar a bien compris cela :

    Seule la mission revêt, en pleine lumière, une forme bien définie ; c’est en sa faveur que les dieux comme le héros qui la sert s’effacent dans l’ombre. La mission se glorifie elle-même aux dépens de l’homme et souvent dans le futur seulement. Cette mission est en partie déjà connue du poète et de ses lecteurs, car c’est l’histoire romaine passée et présente. Dans le tragique épisode d’ Énée et de Didon, s’inscrit en vérité la lutte historique de Rome et de Carthage et plus encore la victoire remportée sur Cléopâtre, séductrice d’Antoine avant de l’être presque de César et qui, après Actium, s’est donné la mort comme Didon ; plus encore c’est l’histoire de la lutte entre l’éternelle séduction de l’Orient et la mission de Rome en Occident[3].

    Cette dimension historique ne pouvait échapper au spectateur cultivé du XVIIème siècle, et c’est par là que ce tableau du Lorrain, comme la plupart de ses œuvres, accède à l'universel.

    Claude Lorrain, Didon montrant Carthage à Énée, 1676.
    Hambourg, Kunsthalle.


    Vous trouverez ici la liste des tableaux et des dessins de Claude Lorrain que nous avons présentés sur ce blog, et que nous avons disposée selon l’ordre chronologique de la vie du peintre :
    http://participans.blogspot.fr/2012/07/regards-sur-quarante-tableaux-ou.html

    [1] Virgile, Énéide, IV, 1-5. Voici la traduction d’A. Bellesort, Paris, Les Belles Lettres, 51946, p. 99 : « Mais la reine, déjà gravement atteinte du mal d’amour nourrit sa blessure du sang de ses veines et se consume d’un feu secret. Le courage de cet homme tant de fois éprouvé, et la splendeur de sa race ne cessent de la hanter. Ses traits, ses paroles lui restent fixés au cœur, et le mal d’aimer ne lui laisse aucun repos ».
    [2] Virgile, Énéide, I, 441-449. Trad. in op. cit., p. 22-23 : « Il y avait au centre de la ville un bois sacré riche d’ombre où les Carthaginois, ballotés par les flots et la tempête, déterrèrent dès leur arrivée le présage que leur avait annoncé la royale Junon : une tête de cheval fougueux, signe pour leur nation de victoires guerrières et de vie abondante à travers les siècles. Didon la Sidonienne y édifiat à Junon un vaste temple aussi considérable par les offrandes des hommes que par la puissance de la déesse. Des degrés s’élevaient à son parvis d’airain ; les linteaux de la porte étaient fixés par des attaches d’airain, et sur les gonds criaient des portes d’airain ».
    [3] H.-U. von Balthasar, La Gloire et la Croix, IV Le domaine de la métaphysique, * Les fondations, trad. fr. de R. Givord et H. Engelmann, Paris, Aubier-Montaigne, 1981, p. 226.