Benozzo Gozzoli, Le triomphe de saint Thomas d'Aquin, 1471

samedi 28 décembre 2013

Le massacre des saints Innocents, de Guido Reni

            Le 28 décembre, l’Église honore les saints Innocents, ces enfants massacrés par Hérode qui croyait ainsi pouvoir éliminer l’Enfant qu’étaient allés adorer les Mages. Cette fête nous donne aussi l’occasion de penser à tous les enfants tués avant de voir jour, et de prier pour leurs mères abusées par des « lois » iniques et homicides.
            Cet épisode de l’Enfance du Christ sollicita l’intérêt de nombreux peintres du XVIIème siècle. Guido Reni fut l’un d’entre eux, et le tableau qu’il réalisa demeure l’un de ses plus puissants chefs-d’œuvre. Laissons ici la parole à Gérard-Julien Salvy :

Il s’agit là, incontestablement, de la réalisation la plus marquante de cette période – qui s’inaugure ainsi avec éclat en jetant un pont entre l’œuvre de Raphaël et celui à venir de Poussin -, comme elle l’est de l’ensemble de la carrière de Reni. Ce que ses contemporains ont ressenti eux aussi devant la force dramatique particulièrement exacerbée de la figure de la mère tentant de sauver son enfant tandis que les autres personnages semblent accepter leur fatal destin (parmi lesquels l’un est inspiré de son domestique Giacomazzo Gasparini, que l’on retrouvera dans d’autres œuvres). Ces amateurs ont aussi apprécié la très forte théâtralité et la cohérence de cette scène empreinte d’une dynamique presque déconcertante, étrangement sensuelle et mouvante, ne reléguant au second plan aucun des éléments du drame tout en les plaçant tous sous le signe de ce cri muet qui est peut-être un souvenir de Caravage dans une œuvre qui, par ailleurs, démontre clairement que désormais l’héritage du Raphaël « vatican », plutôt que motif d’imitation, est complètement absorbé pour être repensé afin de devenir un objet de méditation.
            Une œuvre qui dément l’idée que Reni serait inapte à la narration autant qu’elle montre qu’il sait traiter le drame avec le vocabulaire de l’harmonie, réussissant ainsi à « récupérer » un thème exténué en lui conférant une vitalité radicalement moderne. Jacob Burckhardt devait écrire à son sujet qu’elle était l’« une des meilleures composition de pathos de l’époque », ouvrant ainsi la voie à un très long cortège de commentaires de la part de générations successives d’historiens de l’art, dont plusieur remarquèrent que ces agencements de figures, curieusement, évoquent aussi l’Aurore et son irréprochable allégresse[1].

De notre côté, nous sommes particulièrement touché par l’extrême intensité dramatique qui résulte de la fixation du mouvement, plus forte encore que dans un instantané photographique. Deux femmes, aux extrémités du tableau, tentent de s’enfuir avec leurs enfants dans les bras, tandis que les envoyés d’Hérode brandissent leurs poignards ; ensemble, ils forment un × allongé, qui symbolise l’écartèlement des enfants massacrés et davantage encore celui de l’âme de leurs mères. Le vide, en plein centre de la composition, sur lequel plonge, menaçant, l’un des couteaux, porte cette tension à son paroxysme. C’est cette sorte de pureté tragique de la litote qui révèle le profond classicisme du Guide, si contraire au naturalisme débridé du Caravage, et tellement plus conforme à l'essence transcendantale de la Beauté.

Guido Reni, Le massacre des saints Innocents, 1611,
Bologne, Pinacoteca Nazionale.





[1] Gérard-Julien Salvy, Guido Reni, Paris, Gallimard, 2001, p. 21.

vendredi 27 décembre 2013

Saint Joseph avec l'Enfant Jésus, de Guido Reni

            Quatorze ans après la Vierge à l’Enfant avec le petit saint Jean-Baptiste, Guido Reni peignit en 1620 ce magnifique Saint Joseph avec l’Enfant Jésus. Cette œuvre, d’une facture beaucoup plus rigoureuse, renonce à toute forme de maniérisme ou de caravagisme, et manifeste le profond sentiment classique du Guide. Le centre de la composition est occupé par un losange, à l’intérieur duquel saint Joseph, vêtu d’une tunique brune et d’un manteau orangé, tient l’Enfant Jésus dans ses bras. L’ange et la Vierge, à l’arrière-plan droit font allusion à la fuite en Égypte, ainsi que l’austère paysage italien, dont les couleurs sombres renforcent l’impression d’exil. La tendresse pudique de la scène en ressort davantage, où l’on retrouve cette grâce esthétique et théologique à la fois qui caractérise la production du maître bolognais. Mais l’on est surtout frappé par l’âge avancé de Joseph, qui évoque, davantage que le père nourricier de Jésus, son Père éternel. Serait-il alors exagéré de voir dans ce tableau un reflet terrestre da la filiation du Verbe, qui nous est rendue sensible grâce à l’Incarnation ?

Guido Reni, Saint Joseph avec l'Enfant Jésus, 1620,
Saint-Pétersbourg, Musée de l'Ermitage.

jeudi 26 décembre 2013

La Vierge à l’Enfant avec le petit saint Jean-Baptiste, de Guido Reni

            Voici, pour la Noël, La Vierge à l’Enfant avec le petit saint Jean-Baptiste, de Guido Reni. Dans son intéressante monographie sur le plus connu des peintres de Bologne, Gérard-Julien Salvy pense que cette petite œuvre sur cuivre (de 25 × 19 cm) peinte en 1606 « possède avant tout une valeur historique[1] », parce qu’elle fut offerte à Paul V (le pape Borghese qui régna de 1605 à 1621), et qu’elle fut ainsi à l’origine du succès que connut le Guide dans la Ville Éternelle, au point d’y faire de fréquents séjours jusqu’à son retour dans sa patrie en 1614.
            Pour notre modeste part, nous dirions que, sans être un chef-d’œuvre absolu, ce tableau caractérise parfaitement ce qui sera la manière de ce grand nostalgique du classicisme à l’âge baroque que fut Guido Reni. On notera en particulier l’équilibre complexe, mais profond, de la composition, aussi bien sur le registre strictement pictural que dans l’ordre de la signification spirituelle. Le thème traité, bien centré sur le plan et dans la perspective, nous fait voir l’Enfant, dont la carnation est la plus claire et la plus lumineuse, à la droite de la Vierge, dont la tête et le buste sont enveloppés d’un voile un peu moins clair, et au-dessus du Baptiste, dont la peau cuivrée se trouve de surcroît plongée en partie dans l’ombre. Ce jeu de tonalités, inscrites dans un losange, exprime bien les rôles respectifs des trois personnages dans la conclusion de l’Ancienne Alliance et dans la fondation de la Nouvelle : Jean le Précurseur devra s’effacer devant le Messie, que la Vierge a enfanté et qu’elle continue à nous donner. Dans cette optique, l’agneau et la croix du petit Baptiste annoncent le sacrifice du Christ, tandis que le vase fleuri qui dégage la perspective en haut à droite, est  - peut-être – une allégorie de l’arbre de Jessé. Les draperies en diagonale, celle du rideau rouge et celle de la robe bleue de Marie, évoquent l’auctoritas divine et l’intériorité céleste, et solennisent ainsi la scène. Comme il arrive très souvent dans l’œuvre du Guide, la grâce esthétique se fait l’ambassadrice de la grâce théologale.


Guido Reni, La Vierge à l'Enfant avec le petit saint Jean-Baptiste, vers 1606,
Paris, Musée du Louvre.




[1] Gérard-Julien Salvy, Guido Reni, Paris, Gallimard, 2001, p. 48.