Laurent de la Hyre, né à Paris le 27 février 1606, et mort le 28 décembre 1656, ne figure pas dans les premiers rangs de l’histoire de la peinture. Néanmoins, il incarne fort bien ce qu’il est convenu d’appeler « l’atticisme parisien », c’est-à-dire cette esthétique picturale qui, à la suite d’Eustache Le Sueur (1616-1655) et avec Sébastien Bourdon (1616-1671), parmi d’autres, incarne, sous le règne de Louis XIII et pendant la minorité de Louis XIV, le génie classique de la France.
Les deux œuvres que nous présentons ici étaient destinées à la Grande Chartreuse de Grenoble, dans laquelle il formaient une paire, peut-être pour orner deux autels symétriques. On peut les admirer au Musée de Peinture et de Sculpture de la capitale dauphinoise. C’est bien « en pendant » qu’il faut les contempler et les comprendre. Chacune d'elles se réfère à une manifetation du Christ après la Résurrection. Le premier tableau, où le Christ se trouve à gauche de la composition, représente l’apparition à Madeleine, et précisément l’instant où, celle-ci ayant reconnu celui qu’elle croyait d’abord être le jardinier, le Seigneur lui dit Noli me tangere :
Elle, pensant que c’est le gardien du jardin, lui dit : « Seigneur, si tu l’as emporté, dis-moi où tu l’as mis et j’irai le prendre. » Jésus lui dit : « Mariam !... » Elle, se tournant, lui dit en hébreu : « Rabbouni !... » ce qui veut dire « Maître ». Jésus lui dit : « Ne me touche pas ; car – je ne suis pas encore monté vers le Père, - mais va vers mes frères et dis leur : « Je monte vers mon Père et votre Père, et [vers] mon Dieu et votre Dieu.[1] »
L’artiste a figuré le Christ debout au premier plan, vêtu d’une tunique et d’un manteau bleu indigo. Il est debout, et sa main gauche s’approche du front de la sœur de Lazare, sans le toucher. Madeleine porte une tunique de tonalité verte, sur laquelle est un manteau vermillon. Elle a fléchi le genou gauche, et ses bras sont dans la position de l’orante. On notera que la cambrure du Christ, à gauche, dessine un arc de cercle dont le sommet est au milieu de la bordure supérieure, tandis qu’un autre arc de cercle, un peu moins perceptible, redescend du même point en longeant la roche, puis le bras gauche de Marie-Madeleine. En même temps, la diagonale formée par le dos de celle-ci se prolonge jusqu’au même point de fuite, au sommet et à la moitié de l’ensemble. À l’arrière-plan, l’un des deux anges mentionnés un peu plus haut par saint Jean[2], est assis à l’intérieur de la grotte ; son vêtement est blanc, et il projette une lumière dorée sur la paroi. La symbolique classique des couleurs pures trouve ici une application parfaite : le bleu signifie la nature désormais céleste du Ressuscité, et sa royauté sur l’univers, tandis que le blanc et l’or, autres couleurs célestes, enveloppent l’ange ; au contraire, Marie-Madeleine est en vert et en vermillon, dérivé du rouge, couleurs terrestres, puisqu’elle appartient encore au monde d’ici-bas, et qu’elle est, de surcroît, la pécheresse repentie par excellence. La nature environnante est en demi teinte, avec une échappée sur un ciel plus serein à gauche.
Le pendant représente l’apparition aux pèlerins d’Emmaüs, et c’est aussi une scène de reconnaissance, puisqu’il représente le moment où, les yeus tournés vers le ciel, Jésus rompt le pain :
Et il advint qu’après s’être mis à table avec eux, prenant le pain, il bénit [Dieu] ; et, [l’]ayant rompu, il [le] leur donnait. Leurs yeux s’ouvrirent : et ils le reconnurent. Et lui disparut d’auprès d’eux[3].
Le Seigneur est assis, comme l’exige la fidélité au récit de saint Luc ; cette fois, s’il est toujours au premier plan, il est à droite. Alors qu’il regardait Marie-Madeleine, son regard ici s’échappe au-delà de ce monde. Les disciples assis font tous deux de leurs bras un geste qui est à la fois d’exclamation et de prière. La distribution des couleurs est exactement la même que dans le pendant, les tonalités vermillon-rose et verte étant divisées entre les deux pèlerins. Le paysage reprend aussi les mêmes couleurs, mais il fait un fort contraste avec le précédent par ses allusions méditerranéennes - les palmiers - et surtout par le décor architectural qui structure la scène de manière très géométrique. Il faut souligner la vétusté marquée des bâtiments, ainsi que le temps d’orage, signes de la caducité du monde, qui s’oppose à la vision d’éternité qu’offre le Christ.
Au total, ces deux tableaux que l’artiste a exécutés en 1656, l’année de sa mort, sont un beau testament spirituel. Au-delà de ce monde et de ses dualités – le beau temps et l’orage, la campagne et la ville, l’homme et la femme -, le Christ est ressuscité pour toujours, et il est toujours le même.
Laurent de la Hyre, Apparition du Christ à Marie-Madeleine, 1656. Grenoble, Musée de Peinture et de Sculpture. |
Laurent de la Hyre, Apparition du Christ aux pèlerins d'Emmaüs, 1656. Grenoble, Musée de Peinture et de Sculpture. |
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