Benozzo Gozzoli, Le triomphe de saint Thomas d'Aquin, 1471

mercredi 15 février 2012

Le relativisme contemporain selon Chateaubriand

            Grand sensitif, l’Enchanteur était aussi à maints égards un voyant, dont le regard semble avoir entrevu ce que serait notre époque, plus de cent cinquante ans après sa mort. Voici une description qui nous semble excessive pour le dix-neuvième siècle auquel elle s’applique, et qui en revanche anticipe parfaitement la bassesse de notre temps :

Il n’existe plus rien : autorité de l’expérience et de l’âge, naissance ou génie, talent ou vertu, tout est nié ; quelques individus gravissent au sommet des ruines, se proclament géants et roulent en bas pygmées. Excepté une vingtaine d’hommes qui survivront et qui étaient destinés à tenir le flambeau à travers les steppes ténébreuses où l’on entre, excepté ce peu d’hommes, une génération qui portait en elle un esprit abondant, des connaissances acquises, des germes de succès de toutes sortes, les a étouffés dans une inquiétude aussi improductive que sa superbe est stérile. Des multitudes sans nom s’agitent sans savoir pourquoi, comme les associations populaires du moyen âge : troupeaux affamés qui ne reconnaissent point de berger, qui courent de la plaine à la montagne et de la montagne à la plaine, dédaignant l’expérience des pâtres durcis au vent et au soleil. Dans la vie de la cité tout est transitoire : la religion et la morale cessent d’êtres admises, ou chacun les interprète à sa façon. Parmi les choses d’une nature inférieure, même impuissance de conviction et d’existence, une renommée palpite à peine une heure, un livre vieillit dans un jour, des écrivains se tuent pour attirer l’attention ; autre vanité : on n’entend pas même leur dernier soupir.

Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, livre 44, ch. 2,
éd. M. Levaillant – G. Moulinier, [Bibliothèque de la Pléiade], t. II,
Paris, Gallimard, 1958, p. 917.


Le vicomte écrivait cela en un moment où vivaient Chopin ou Corot, et avant que ne parussent le baron Haussmann ou le renouveau thomiste… Que dirait-il aujourd’hui ? Il nous reste le passé, Benoît XVI, et surtout les paroles de la Parole faite chair, celles qui ne passeront pas.

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