Le 28
décembre, l’Église honore les saints Innocents, ces enfants massacrés par
Hérode qui croyait ainsi pouvoir éliminer l’Enfant qu’étaient allés adorer les
Mages. Cette fête nous donne aussi l’occasion de penser à tous les enfants tués
avant de voir jour, et de prier pour leurs mères abusées par des
« lois » iniques et homicides.
Cet
épisode de l’Enfance du Christ sollicita l’intérêt de nombreux peintres du XVIIème
siècle. Guido Reni fut l’un d’entre eux, et le tableau qu’il réalisa demeure
l’un de ses plus puissants chefs-d’œuvre. Laissons ici la parole à
Gérard-Julien Salvy :
Il s’agit là,
incontestablement, de la réalisation la plus marquante de cette période – qui
s’inaugure ainsi avec éclat en jetant un pont entre l’œuvre de Raphaël et celui
à venir de Poussin -, comme elle l’est de l’ensemble de la carrière de Reni. Ce
que ses contemporains ont ressenti eux aussi devant la force dramatique
particulièrement exacerbée de la figure de la mère tentant de sauver son enfant
tandis que les autres personnages semblent accepter leur fatal destin (parmi
lesquels l’un est inspiré de son domestique Giacomazzo Gasparini, que l’on
retrouvera dans d’autres œuvres). Ces amateurs ont aussi apprécié la très forte
théâtralité et la cohérence de cette scène empreinte d’une dynamique presque
déconcertante, étrangement sensuelle et mouvante, ne reléguant au second plan
aucun des éléments du drame tout en les plaçant tous sous le signe de ce cri
muet qui est peut-être un souvenir de Caravage dans une œuvre qui, par
ailleurs, démontre clairement que désormais l’héritage du Raphaël
« vatican », plutôt que motif d’imitation, est complètement absorbé
pour être repensé afin de devenir un objet de méditation.
Une œuvre qui dément l’idée que Reni
serait inapte à la narration autant qu’elle montre qu’il sait traiter le drame
avec le vocabulaire de l’harmonie, réussissant ainsi à « récupérer »
un thème exténué en lui conférant une vitalité radicalement moderne. Jacob Burckhardt
devait écrire à son sujet qu’elle était l’« une des meilleures composition
de pathos de l’époque », ouvrant ainsi la voie à un très long cortège de
commentaires de la part de générations successives d’historiens de l’art, dont
plusieur remarquèrent que ces agencements de figures, curieusement, évoquent
aussi l’Aurore et son irréprochable
allégresse[1].
De notre côté, nous sommes particulièrement touché par l’extrême
intensité dramatique qui résulte de la fixation
du mouvement, plus forte encore que dans un instantané photographique. Deux
femmes, aux extrémités du tableau, tentent de s’enfuir avec leurs enfants dans
les bras, tandis que les envoyés d’Hérode brandissent leurs poignards ;
ensemble, ils forment un × allongé, qui symbolise l’écartèlement
des enfants massacrés et davantage encore celui de l’âme de leurs mères. Le
vide, en plein centre de la composition, sur lequel plonge, menaçant, l’un des
couteaux, porte cette tension à son paroxysme. C’est cette sorte de pureté tragique
de la litote qui révèle le profond classicisme du Guide, si contraire au
naturalisme débridé du Caravage, et tellement plus conforme à l'essence transcendantale de la Beauté.
Guido Reni, Le massacre des saints Innocents, 1611, Bologne, Pinacoteca Nazionale. |
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