Splendeur
de la lumière ; clarté de la forme ; finesse de la palette :
tels pourraient être les trois premiers aspects qui caractérisent le génie du
Lorrain, sans l’expliquer cependant, car le génie n’est pas plus réductible aux
procédés qu’il utilise que le tout ne l’est, en bonne métaphysique, aux parties
qu’elle intègre. Un autre secret de ce même génie, nécessaire et insuffisant
lui aussi, c’est la maîtrise de la perspective. Voici un dessin daté de 1668, Deux palais avec saint Alexis, alors que
Claude avait 68 ou bien 63-64 ans, selon que l’on situe sa naissance en 1600 ou
bien en 1604/1605 ; en tout état de cause, il s’agit d’une réalisation
tardive, qui nous montre comment le peintre, même après avoir atteint sa pleine
maturité artistique, n’hésitait pas à faire des « exercices de perspective »,
sans doute pour ne pas perdre la main. Dans un ouvrage collectif consacré aux
dessins du grand Lorrain, nous lisons ceci :
Damish
(1984) a analysé le système de perspective utilisé dans ce dessin. Comme d’habitude,
Claude fixa l’horizon aux deux cinquièmes de la hauteur de l’image ; le
point focal est situé sur l’axe vertical de la feuille. Comme dans le Christ devant Pilate (cat. 92), le
système utilisé est celui de la costruzione
legittima, avec un point de convergence à l’intérieur de l’image, alors que
généralement Claude adoptait un système bifocal. Il s’ensuit que les lignes de
construction sont toutes parallèles à la surface ou bien ce sont des
orthogonaux ; l’image obtenue est, en quelque sorte, archaïsante et
artificielle[1].
Le thème de cet « exercice », c’est saint
Alexis, ce patricien romain qui, après avoir vécu en Terre Sainte, revint dans
l’Urbs, et vécut sous l’escalier du
palais de ses parents, sans que ceux-ci le remarquassent jamais. Claude a
représenté ici la maison patricienne au premier plan, qui fait pendant à un
édifice plus considérable, l’une et l’autre demeure s’élevant dans le port de
la cité, où sont amarrés des vaisseaux. La perspective, et la construction tout
entière du dessin, concourent – plus que ne voudraient probablement l’admettre
des critiques contemporains – au sens de la scène. Alexis, en effet, est
couché, oublié, sous la voûte de l’escalier qui conduit à la maison de ses
pères, où toute la magnificence du site qui l’entoure lui demeure cachée, les architectures
terrestres et marines aussi bien que la procession des nuages dans le ciel
méditerranéen ; mais il est allongé pourtant au travers de l’axe central du
dessin, qui mène au soleil, invisible et présent, vers lequel convergent
toutes les lignes de perspective. L’astre du jour n’est donc pas qu’un prétexte, il
est bien l’Alpha et l’Oméga de toutes les couches de signification que le
spectateur est invité à discerner.
Claude Lorrain, Deux palais avec saint Alexis, 1668, 24,7 x 39,6 cm, Haarlem, Teylers Museum. |
[1]
Claude Gellée, dit le Lorrain, Le dessinateur face à la nature, Paris,
Musée du Louvre – Somogy, éditions d’art, 2011, p. 268. L’article
cité est celui de Hubert DAMISCH, « Claude,
A Problem in Perspective », p. 29-44, in Pamela ASKEW (éd.), Claude
Lorrain, 1600-1682 : A Symposium, Center for Advanced Study in the
Visual Arts Symposium Series III, Washington 1984.
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