Benozzo Gozzoli, Le triomphe de saint Thomas d'Aquin, 1471

mercredi 18 juillet 2012

Chateaubriand et Claude Lorrain

            L’auteur de ce modeste bloc-notes considère l’œuvre de Claude Lorrain comme un des sommets de l’histoire de la peinture, parce qu’il voit comme un reflet sensible de la beauté divine dans la lumière qui transfigure les couleurs et les formes de ses tableaux. Si la grandeur de l’art se mesure à l’intensité avec laquelle elle nous rend participants de la beauté transcendantale et, à travers celle-ci, de la Beauté suressentielle de Dieu, les toiles du Lorrain sont vraiment grandes.
            Heureusement pour nous, nous ne sommes pas seul à en juger ainsi. Voici en effet ce qu’en écrit Chateaubriand dans son Voyage en Italie :

Rien n’est comparable pour la beauté aux lignes de l’horizon romain, à la douce inclinaison des plans, aux contours suaves et fuyants des montagnes qui le terminent. Souvent les vallées dans la campagne prennent la forme d’une arène, d’un cirque, d’un hippodrome ; les coteaux sont taillés en terrasses, comme si la main puissante des Romains avait remué toute cette terre. Une vapeur particulière, répandue dans les lointains, arrondit les objets et dissimule ce qu’ils pourraient avoir de dur ou de heurté dans leurs formes. Les ombres ne sont jamais lourdes et noires ; il n’y a pas de masses si obscures de rochers et de feuillages, dans lesquelles il ne s’insinue toujours un peu de lumière. Une teinte singulièrement harmonieuse, marie la terre, le ciel, et les eaux : toutes les surfaces, au moyen d’une gradation insensible de toutes les couleurs, s’unissent par leurs extrémités, sans qu’on puisse déterminer le point où une nuance finit et où une autre commence. Vous avez sans doute admiré dans les paysages de Claude Lorrain, cette lumière qui semble idéale et plus belle que nature ? eh bien, c’est la lumière de Rome !
            Je ne me lassais de point de voir à la villa Borghèse, le soleil se coucher sur les cyprès du mont Marius et sur les pins de la villa Pamphili, plantés par le Nôtre. J’ai souvent aussi remonté le Tibre à Ponte-Mole, pour jouir de cette grande scène de la fin du jour. Les sommets des montagnes de la Sabine apparaissent alors de lapis lazuli et d’or pâle, tandis que leurs bases et leurs flancs sont noyés dans une vapeur d’une teinte purpurine. Quelquefois de beaux nuages comme chars légers, portés sur le vent du soir avec une grâce inimitable, font comprendre l’apparition des habitants de l’Olympe sous ce ciel mythologique ; quelquefois l’antique Rome semble avoir étendu dans l’occident toute la pourpre de ses Consuls et de ses Césars, sous les derniers pas du dieu du jour. Cette riche décoration ne se retire pas aussi vite que dans nos climats : lorsque vous croyez que les teintes vont s’effacer, elle se ranime sur quelque autre point de l’horizon ; un crépuscule succède à un crépuscule, et la magie du couchant se prolonge. Il est vrai qu’à cette heure du repos des campagnes, l’air ne retentit plus de chants bucoliques ; les bergers n’y sont plus : Dulcia linquimus arva ![1] mais on voit encore les grandes victimes de Clytumne[2], des bœufs blancs ou des cavales demi-sauvages, qui descendent au bord du Tibre et viennent s’abreuver dans ses eaux. Vous vous croiriez transporté au temps des vieux Sabins ou au siècle de l’Arcadien Évandre, poˆmenej laîn alors que le Tibre s’appelait Albula, et que le pieux Énée remonta ses ondes inconnues.

Chateaubriand, Voyage en Italie,
in Œuvres romanesques et voyages, t. II,
éd. Maurice Regard, [Bibliothèque de la Pléiade, 210],
Paris, Gallimard, 1969, p. 1478-1480.

Voici quelques tableaux de Claude qui illustrent le propos de celui que madame de Staël appelait My dear Francis.

Claude Lorrain, Paysage avec des bergers et le Pont Milvius, 1645.
Birmingham, City Art Gallery.

Claude Lorrain, Paysage avec une halte durant la fuite en Egypte, 1666.
Saint-Pétersbourg, Musée de l'Ermitage.

Claude Lorrain, Paysage idéal avec la fuite en Egypte, 1663.
Madrid, Musée Thyssen-Bornemisza.



Vous trouverez ici la liste des tableaux et des dessins de Claude Lorrain que nous avons présentés sur ce blog, et que nous avons disposée selon l’ordre chronologique de la vie du peintre :
http://participans.blogspot.fr/2012/07/regards-sur-quarante-tableaux-ou.html

[1] Virgile, Bucoliques I, 3.
[2] Virgile, Géorgiques II, 147.

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