Quelques mois après la mort de sa sœur Julie, décédée le 26 juillet 1799, Chateaubriand écrivait ceci à son ami Louis de Fontanes :
Ce 25 octobre 1799
[…] Oui, mon cher ami, vous et moi sommes convaincus qu’il y a une autre vie. Une âme telle que la vôtre, dont les amitiés doivent être aussi durables que sublimes, se persuadera malaisément que tout se réduit à quelques jours d’attachement dans un monde dont les figures passent si vite, et où tout consiste à acheter si chèrement un tombeau. Toutefois, Dieu qui voyait que mon cœur ne marchait point dans les voies iniques de l’ambition, ni dans les abominations de l’or, a bien su trouver l’endroit où il fallait le frapper, puisque c’était lui qui en avait pétri l’argile et qu’il connaissait le fort et le faible de son ouvrage. Il savait que j’aimais mes parents et que là était ma vanité. Il m’en a privé afin que j’élevasse les yeux vers lui. Il aura désormais avec vous toutes mes pensées. Je dirigerai le peu de forces qu’il m’a données vers sa gloire, certain que je suis que là gît la souveraine beauté et le souverain génie ; là où est un Dieu immense qui fait cingler les étoiles sur la mer des Cieux comme une flotte magnifique, et qui a placé le cœur de l’honnête homme dans un fort inaccessible aux méchants […]
Chateaubriand, Lettre à Fontanes du 25 octobre 1799,
in Id., Essai sur les révolutions – Génie du Christianisme,
éd. M. Regard, [Bibliothèque de la Pléiade, 272],
Paris, Gallimard, 1978, p. 1669-1670.
éd. M. Regard, [Bibliothèque de la Pléiade, 272],
Paris, Gallimard, 1978, p. 1669-1670.
L’Enchanteur est là, nous semble-t-il, tout entier. Sans ambition vulgaire et sans goût de l’argent, il a la fierté d’une grandeur que la vanité ne rend pas fausse ; désolé, au sens fort, par la mort de sa mère en 1798, puis de sa sœur en cette année 1799, il retourne à la foi de son enfance, dont il avait médit dans l’Essai sur les révolutions, et il se promet d’employer son génie à chanter celui de son créateur : c’est l’annonce du Génie du christianisme, auquel il travaillera jusqu’en 1802. Bien que Jean-Jacques fût l’une des sources de son œuvre, comme Marc Fumaroli l’a si bien montré[1], la foi de Chateaubriand n’est pas celle du vicaire savoyard, c’est bien celle de l’Église, et c’est en prenant appui sur elle qu’il devine la logique du gouvernement divin sur les événements qui le touchent. On admirera la langue d’une simple lettre, mesurant au passage dans quel abîme de barbarie nous sommes plongés aujourd’hui ; mais, surtout, on retiendra la belle leçon chrétienne qui nous invite à déchiffrer le plan de Dieu dans la trame de nos fragiles vies.
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