Le 28 juillet 1914,
l’Autriche-Hongrie déclarait la guerre à la Serbie. Par le jeu des alliances,
mais non sans la grave responsabilité des hommes, les déclarations de guerre
allaient se succéder sur le continent jusqu’au 13 août (Royaume-Uni contre Autriche-Hongrie).
Trois ans plus tard, le 1er août 1917, le pape Benoît XV élève la
voix contre ce qu’il appelle justement -
la formule restera célèbre - un
« massacre inutile ». Il formule des propositions concrètes et sages,
que l’on peut lire ci-dessous, et que personne n’a voulu écouter, sauf le
bienheureux Charles Ier d’Autriche, qui sera probablement le plus
grand vaincu de cette guerre. Et le pape se demandait avec une angoisse lucide
si l’Europe allait prêter la main à son propre suicide. C’est exactement ce qui
est arrivé.
Dès le début de Notre Pontificat, au
milieu des horreurs de la terrible guerre déchaînée sur l’Europe, Nous Nous
sommes proposé trois choses entre toutes : garder une parfaite impartialité à
l’égard de tous les belligérants, comme il convient à Celui qui est le Père
commun et qui aime tous ses enfants d’une égale affection ; Nous efforcer
continuellement de faire à tous le plus de bien possible, et cela sans
acception de personnes, sans distinction de nationalité ou de religion, ainsi
que Nous le dicte aussi bien la loi universelle de la charité que la suprême
charge spirituelle à Nous confiée par le Christ ; enfin, comme le requiert
également Notre mission pacificatrice, ne rien omettre, autant qu’il était en
Notre pouvoir, de ce qui pourrait contribuer à hâter la fin de cette calamité,
en essayant d’amener les peuples et leurs chefs à des résolutions plus
modérées, aux délibérations sereines de la paix, d’une paix « juste et durable
».
Quiconque a suivi Notre œuvre
pendant ces trois douloureuses années, qui viennent de s’écouler, a pu
facilement reconnaître que, si Nous sommes restés toujours fidèles à Notre
résolution d’absolue impartialité et à Notre action de bienfaisance, Nous
n’avons pas cessé non plus d’exhorter peuples et gouvernements belligérants à
redevenir frères, bien que la publicité n’ait pas été donnée à tout ce que Nous
avons fait pour atteindre ce très noble but.
Vers la fin de la première année de
guerre, Nous
adressions aux nations en lutte les plus vives exhortations, et de plus
Nous indiquions la voie à suivre pour arriver à une paix stable et honorable
pour tous. Malheureusement Notre appel ne fut pas entendu ; et la guerre s’est
poursuivie, acharnée, pendant deux années encore, avec toutes ses horreurs :
elle devint même plus cruelle et s’étendit sur terre, sur mer, jusque dans les
airs ; et l’on vit s’abattre sur des cités sans défense, sur de tranquilles
villages, sur leurs populations innocentes, la désolation et la mort. Et
maintenant personne ne peut imaginer combien se multiplieraient et
s’aggraveraient les souffrances de tous, si d’autres mois, ou, pis encore, si
d’autres années venaient s’ajouter à ce sanglant triennat. Le monde civilisé
devra-t-il donc n’être plus qu’un champ de mort ? Et l’Europe, si glorieuse et
si florissante, va-t-elle donc, comme entraînée par une folie universelle,
courir à l’abîme et prêter la main à son propre suicide ?
Dans une situation si angoissante,
en présence d’une menace aussi grave, Nous qui n’avons aucune visée politique
particulière, qui n’écoutons les suggestions ou les intérêts d’aucune des
parties belligérantes, mais uniquement poussé par le sentiment de Notre devoir
suprême de Père commun des fidèles, par les sollicitations de Nos enfants qui
implorent Notre intervention et Notre parole pacificatrice, par la voix même de
l’humilité et de la raison, Nous jetons de nouveau un cri de paix et Nous
renouvelons un pressant appel à ceux qui tiennent en leurs mains les destinées
des nations. Mais pour ne plus Nous renfermer dans des termes généraux, comme
les circonstances Nous l’avaient conseillé par le passé, Nous voulons
maintenant descendre à des propositions plus concrètes et pratiques, et inviter
les gouvernements des peuples belligérants à se mettre d’accord sur les points
suivants, qui semblent devoir être les bases d’une paix juste et durable, leur
laissant le soin de les préciser et de les compléter.
Tout d’abord le point fondamental
doit être, qu’à la force matérielle des armes soit substituée là force morale
du droit ; d’où un juste accord de tous pour la diminution simultanée et
réciproque des armements, selon des règles et des garanties à établir, dans la
mesure nécessaire et suffisante au maintien de l’ordre public en chaque État ;
puis, en substitution des armées, l’institution de l’arbitrage, avec sa haute
fonction pacificatrice, selon des normes à concerter et des sanctions à
déterminer contre l’État qui refuserait soit de soumettre les questions
internationales à l’arbitrage soit d’en accepter les décisions.
Une fois la suprématie du droit
ainsi établie, que l’on enlève tout obstacle aux voies de communication des
peuples, en assurant, par des règles à fixer également, la vraie liberté et
communauté des mers, ce qui, d’une part, éliminerait de multiples causes de
conflit, et, d’autre part, ouvrirait à tous de nouvelles sources de prospérité
et de progrès.
Quant aux dommages à réparer et aux
frais de guerre, Nous ne voyons d’autre moyen de résoudre la question, qu’en
posant, comme principe général, une remise entière et réciproque, justifiée du
reste par les bienfaits immenses à retirer du désarmement ; d’autant plus qu’on
ne comprendrait pas la continuation d’un pareil carnage uniquement pour des
raisons d’ordre économique. Si, pour certains cas, il existe, à l’encontre, des
raisons particulières, qu’on les pèse avec justice et équité.
Mais ces accords pacifiques, avec
les immenses avantages qui en découlent, ne sont pas possibles sans la
restitution réciproque des territoires actuellement occupés. Par conséquent, du
côté de l’Allemagne, évacuation totale de la Belgique, avec garantie de sa
pleine indépendance politique, militaire et économique, vis-à-vis de n’importe
quelle puissance ; évacuation également du territoire français ; du côté des
autres parties belligérantes, semblable restitution des colonies allemandes.
Pour ce qui regarde les questions
territoriales, comme par exemple celles qui sont débattues entre l’Italie et
l’Autriche, entre l’Allemagne et la France, il y a lieu d’espérer qu’en
considération des avantages immenses d’une paix durable avec désarmement, les
parties en conflit voudront les examiner avec des dispositions conciliantes,
tenant compte, dans la mesure du juste et du possible, ainsi que Nous l’avons
dit autrefois, des aspirations des peuples, et à l’occasion coordonnant les
intérêts particuliers au bien général de la grande société humaine.
Le même esprit d’équité et de
justice devra diriger l’examen des autres questions territoriales et
politiques, et notamment celles relatives à l’Arménie, aux États balkaniques et
aux territoires faisant partie de l’ancien royaume de Pologne, auquel en
particulier ses nobles traditions historiques et les souffrances endurées,
spécialement pendant la guerre actuelle, doivent justement concilier les
sympathies des nations.
Telles sont les principales bases
sur lesquelles Nous croyons que doive s’appuyer la future réorganisation des
peuples. Elles sont de nature à rendre impossible le retour de semblables
conflits et à préparer la solution de la question économique, si importante
pour l’avenir et le bien-être matériel de tous les États belligérants. Aussi,
en vous les présentant, à vous qui dirigez à cette heure tragique les destinées
des nations belligérantes, Nous sommes animé d’une douce espérance, celle de
les voir acceptées et de voir ainsi se terminer au plus tôt la lutte terrible,
qui apparaît de plus en plus comme un massacre inutile. Tout le monde
reconnaît, d’autre part, que, d’un côté comme de l’autre, l’honneur des armes
est sauf. Prêtez donc l’oreille à Notre prière, accueillez l’invitation
paternelle que Nous vous adressons au nom du divin Rédempteur, Prince de la
Paix. Réfléchissez à votre très grave responsabilité devant Dieu et devant les
hommes ; de vos résolutions dépendent le repos et la joie d’innombrables
familles, la vie de milliers de jeunes gens, la félicité en un mot des peuples,
auxquels vous avez le devoir absolu d’en procurer le bienfait. Que le Seigneur
vous inspire des décisions conformes à sa très sainte volonté. Fasse le Ciel,
qu’en méritant les applaudissements de vos contemporains, vous vous assuriez
aussi, auprès des générations futures, le beau nom de pacificateurs.
Pour Nous, étroitement uni dans la
prière et dans la pénitence à toutes les âmes fidèles qui soupirent après la
paix, Nous implorons pour vous du divin Esprit lumière et conseil.
Du Vatican, 1er août 1917.
BENOÎT XV
Acta Apostolicae
Sedis 9/9 (1917), p. 417-420.