Benozzo Gozzoli, Le triomphe de saint Thomas d'Aquin, 1471

samedi 28 décembre 2013

Le massacre des saints Innocents, de Guido Reni

            Le 28 décembre, l’Église honore les saints Innocents, ces enfants massacrés par Hérode qui croyait ainsi pouvoir éliminer l’Enfant qu’étaient allés adorer les Mages. Cette fête nous donne aussi l’occasion de penser à tous les enfants tués avant de voir jour, et de prier pour leurs mères abusées par des « lois » iniques et homicides.
            Cet épisode de l’Enfance du Christ sollicita l’intérêt de nombreux peintres du XVIIème siècle. Guido Reni fut l’un d’entre eux, et le tableau qu’il réalisa demeure l’un de ses plus puissants chefs-d’œuvre. Laissons ici la parole à Gérard-Julien Salvy :

Il s’agit là, incontestablement, de la réalisation la plus marquante de cette période – qui s’inaugure ainsi avec éclat en jetant un pont entre l’œuvre de Raphaël et celui à venir de Poussin -, comme elle l’est de l’ensemble de la carrière de Reni. Ce que ses contemporains ont ressenti eux aussi devant la force dramatique particulièrement exacerbée de la figure de la mère tentant de sauver son enfant tandis que les autres personnages semblent accepter leur fatal destin (parmi lesquels l’un est inspiré de son domestique Giacomazzo Gasparini, que l’on retrouvera dans d’autres œuvres). Ces amateurs ont aussi apprécié la très forte théâtralité et la cohérence de cette scène empreinte d’une dynamique presque déconcertante, étrangement sensuelle et mouvante, ne reléguant au second plan aucun des éléments du drame tout en les plaçant tous sous le signe de ce cri muet qui est peut-être un souvenir de Caravage dans une œuvre qui, par ailleurs, démontre clairement que désormais l’héritage du Raphaël « vatican », plutôt que motif d’imitation, est complètement absorbé pour être repensé afin de devenir un objet de méditation.
            Une œuvre qui dément l’idée que Reni serait inapte à la narration autant qu’elle montre qu’il sait traiter le drame avec le vocabulaire de l’harmonie, réussissant ainsi à « récupérer » un thème exténué en lui conférant une vitalité radicalement moderne. Jacob Burckhardt devait écrire à son sujet qu’elle était l’« une des meilleures composition de pathos de l’époque », ouvrant ainsi la voie à un très long cortège de commentaires de la part de générations successives d’historiens de l’art, dont plusieur remarquèrent que ces agencements de figures, curieusement, évoquent aussi l’Aurore et son irréprochable allégresse[1].

De notre côté, nous sommes particulièrement touché par l’extrême intensité dramatique qui résulte de la fixation du mouvement, plus forte encore que dans un instantané photographique. Deux femmes, aux extrémités du tableau, tentent de s’enfuir avec leurs enfants dans les bras, tandis que les envoyés d’Hérode brandissent leurs poignards ; ensemble, ils forment un × allongé, qui symbolise l’écartèlement des enfants massacrés et davantage encore celui de l’âme de leurs mères. Le vide, en plein centre de la composition, sur lequel plonge, menaçant, l’un des couteaux, porte cette tension à son paroxysme. C’est cette sorte de pureté tragique de la litote qui révèle le profond classicisme du Guide, si contraire au naturalisme débridé du Caravage, et tellement plus conforme à l'essence transcendantale de la Beauté.

Guido Reni, Le massacre des saints Innocents, 1611,
Bologne, Pinacoteca Nazionale.





[1] Gérard-Julien Salvy, Guido Reni, Paris, Gallimard, 2001, p. 21.

vendredi 27 décembre 2013

Saint Joseph avec l'Enfant Jésus, de Guido Reni

            Quatorze ans après la Vierge à l’Enfant avec le petit saint Jean-Baptiste, Guido Reni peignit en 1620 ce magnifique Saint Joseph avec l’Enfant Jésus. Cette œuvre, d’une facture beaucoup plus rigoureuse, renonce à toute forme de maniérisme ou de caravagisme, et manifeste le profond sentiment classique du Guide. Le centre de la composition est occupé par un losange, à l’intérieur duquel saint Joseph, vêtu d’une tunique brune et d’un manteau orangé, tient l’Enfant Jésus dans ses bras. L’ange et la Vierge, à l’arrière-plan droit font allusion à la fuite en Égypte, ainsi que l’austère paysage italien, dont les couleurs sombres renforcent l’impression d’exil. La tendresse pudique de la scène en ressort davantage, où l’on retrouve cette grâce esthétique et théologique à la fois qui caractérise la production du maître bolognais. Mais l’on est surtout frappé par l’âge avancé de Joseph, qui évoque, davantage que le père nourricier de Jésus, son Père éternel. Serait-il alors exagéré de voir dans ce tableau un reflet terrestre da la filiation du Verbe, qui nous est rendue sensible grâce à l’Incarnation ?

Guido Reni, Saint Joseph avec l'Enfant Jésus, 1620,
Saint-Pétersbourg, Musée de l'Ermitage.

jeudi 26 décembre 2013

La Vierge à l’Enfant avec le petit saint Jean-Baptiste, de Guido Reni

            Voici, pour la Noël, La Vierge à l’Enfant avec le petit saint Jean-Baptiste, de Guido Reni. Dans son intéressante monographie sur le plus connu des peintres de Bologne, Gérard-Julien Salvy pense que cette petite œuvre sur cuivre (de 25 × 19 cm) peinte en 1606 « possède avant tout une valeur historique[1] », parce qu’elle fut offerte à Paul V (le pape Borghese qui régna de 1605 à 1621), et qu’elle fut ainsi à l’origine du succès que connut le Guide dans la Ville Éternelle, au point d’y faire de fréquents séjours jusqu’à son retour dans sa patrie en 1614.
            Pour notre modeste part, nous dirions que, sans être un chef-d’œuvre absolu, ce tableau caractérise parfaitement ce qui sera la manière de ce grand nostalgique du classicisme à l’âge baroque que fut Guido Reni. On notera en particulier l’équilibre complexe, mais profond, de la composition, aussi bien sur le registre strictement pictural que dans l’ordre de la signification spirituelle. Le thème traité, bien centré sur le plan et dans la perspective, nous fait voir l’Enfant, dont la carnation est la plus claire et la plus lumineuse, à la droite de la Vierge, dont la tête et le buste sont enveloppés d’un voile un peu moins clair, et au-dessus du Baptiste, dont la peau cuivrée se trouve de surcroît plongée en partie dans l’ombre. Ce jeu de tonalités, inscrites dans un losange, exprime bien les rôles respectifs des trois personnages dans la conclusion de l’Ancienne Alliance et dans la fondation de la Nouvelle : Jean le Précurseur devra s’effacer devant le Messie, que la Vierge a enfanté et qu’elle continue à nous donner. Dans cette optique, l’agneau et la croix du petit Baptiste annoncent le sacrifice du Christ, tandis que le vase fleuri qui dégage la perspective en haut à droite, est  - peut-être – une allégorie de l’arbre de Jessé. Les draperies en diagonale, celle du rideau rouge et celle de la robe bleue de Marie, évoquent l’auctoritas divine et l’intériorité céleste, et solennisent ainsi la scène. Comme il arrive très souvent dans l’œuvre du Guide, la grâce esthétique se fait l’ambassadrice de la grâce théologale.


Guido Reni, La Vierge à l'Enfant avec le petit saint Jean-Baptiste, vers 1606,
Paris, Musée du Louvre.




[1] Gérard-Julien Salvy, Guido Reni, Paris, Gallimard, 2001, p. 48.

samedi 30 novembre 2013

Ludwig Giesecke: Die Nachtreise - zeitmässige Betrachtung

Die Nachtreise
bekannt als Beresina-Lied

Unser Leben gleicht der Reise
Eines Wandrers in der Nacht;
Jeder hat in seinem Gleise
Etwas, das ihm Kummer macht.

Aber unerwartet schwindet
Vor uns Nacht und Dunkelheit,
Und der Schwergedrückte findet
Linderung in seinem Leid.

Darum laßt uns weitergehen;
Weichet nicht verzagt zurück!
Hinter jenen fernen Höhen
Wartet unser noch ein Glück.

Mutig, mutig, liebe Brüder,
Gebt das bange Sorgen auf;
Morgen steigt die Sonne wieder
Freundlich an dem Himmel auf.

Ludwig Giesecke




dimanche 8 septembre 2013

Esse intensif et métaphysique de la personne créée

            Selon le Docteur Commun, si l’étant est, c’est uniquement en tant que, et parce que, il a part à l’acte d’être : « possumus dicere quod ens siue id quod est sit in quantum participat actum essendi »[1]. En face de cet esse, l’essentia a valeur de puissance d’être : « In omni ergo substantia quantumcumque simplici, post primam substantiam simplicem, est potentia essendi »[2]. Nous trouvons cette notion de l’esse intensif, acte premier et ultime que l’essence substantielle contracte à la manière d’une puissance réceptive, chez des thomistes de première importance qui appartiennent à des générations et à des cultures différentes les unes des autres : Gilson, Fabro, Forment. Dans les quelques considérations qui suivent, nous voudrions montrer comment ces auteurs ont mis cet esse œuvre dans l’analyse métaphysique de la personne créée.
            Pour Étienne Gilson, la détermination que l’esse reçoit de l’essence est une limitation, et non point une actuation, ce qui renverse l’analogie de proportionnalité, valable en philosophie de la nature, entre les rapports de déterminant à déterminé et d’acte à puissance :

C’est une règle générale que, dans tout rapport de déterminant à déterminé, le déterminé se tient du côté de la puissance et le déterminant du côté de l’acte. Dans le cas présent, au contraire, cette règle ne saurait s’appliquer. Quoi que l’on puisse imaginer qui détermine l’exister, la forme ou la matière par exemple, ce ne peut pas être un pur néant, donc c’est de l’être, et ce n’est de l’être qu’en vertu de l’acte d’exister. Il est donc impossible que la détermination d’un acte d’exister lui vienne du dehors, c’est-à-dire d’autre chose que de lui-même. En effet, l’essence d’un acte fini d’exister consiste à n’être que tel ou tel esse non l’esse pur, absolu et unique dont nous avons parlé. L’acte d’exister se spécifie donc par ce qui lui manque, si bien qu’ici c’est la puissance qui détermine l’acte, en ce sens du moins que son degré propre de potentialité est inscrit dans chaque acte fini d’exister[3].

            Si l’esse et l’essentia sont bien réellement aliud et aliud, ils le sont comme les deux principes, actuel et potentiel, du même étant. Dès qu’il y a un acte d’être fini, il est justement fini par son essence ; et dès qu’une essence est en acte, elle doit son actualité à l’acte d’être qu’elle détermine. L’essence et l’être étant ainsi constitutivement ordonnés l’un à l’autre, la question d’un moyen terme unitif ne se pose pas, car la subsistence de la substance résulte tout simplement de l’esse en tant qu’il est possédé et exercé par l’essence à laquelle il donne l’être[4]. De manière très cohérente avec cette métaphysique de l’étant créé, la personne humaine doit être conçue comme un existant subsistant dont l’essence est une nature raisonnable :

[…] tout homme est une personne. Comme substance, il forme un noyau ontologique distinct, qui ne doit d’être qu’à son acte propre d’exister. Comme substance raisonnable, il est un centre autonome d’activité et la source de ses propres déterminations. Davantage, c’est son acte d’exister qui constitue chaque homme dans son double privilège d’être une raison et d’être une personne ; tout ce qu’il sait, tout ce qu’il veut, tout ce qu’il fait, jaillit de l’acte même par lequel il est ce qu’il est[5].

C’est ainsi dans l’acte d’être que Gilson fonde toutes les caractéristiques de la personne : sa subsistence ontologique d’abord, son autonomie opérative ensuite, grâce à laquelle elle a la maîtrise de ses actes. En effet, l’être tendant nécessairement à s’épancher en agir, l’esse de la nature spirituelle subsistante se déploiera, au-delà de l’essence, en actes spirituels qui, en raison de leur immatérialité, retournent sur eux-mêmes pour enrichir le sujet qui les pose[6].
            Cornelio Fabro comprend lui aussi l’esse comme la source de toutes les perfections de l’étant, dont provient même l’actualité formelle en quoi consiste la quiddité de la substance réelle :

[…] toute essence, bien qu’elle doit acte dans l’ordre formel, est créée comme puissance qui devient actualisée par l’esse participé qu’elle reçoit ; son actualité est ainsi donnée par la « médiation » de l’esse[7].

Lorsque l’acte d’être actue la puissance correspondante, c’est-à-dire l’essence, deux effets formels corrélatifs en découlent aussitôt : d’une part, l’essence, à travers sa forme, acquiert son actualité propre ; et, d’autre part, cette même essence substantielle est instituée sujet de l’esse auquel elle doit toute la perfection qu’elle a. En tant qu’elle est désormais en acte, la substance a un esse in actu : pour Pierre, être, c’est d’abord être homme en acte ; mais cet esse in actu est un être actué, qui se fonde dans l’esse ut actus originaire. Et en tant que cette substance en acte est le sujet immédiat de son acte d’être, elle subsiste, c’est-à-dire qu’elle a l’esse en elle-même, et non dans un autre, à la différence de l’accident[8]. Comme pour Gilson, le principe de subsistence n’est donc rien autre que l’esse au sens fort, en tant qu’il est reçu par l’essence substantielle et se trouve donc subjecté en elle :

Nous pouvons donc conclure que l’esse in actu correspond à l’esse essentiae : comme à l’essence substantielle correspond un esse substantiel, ainsi à l’essence accidentelle (la quantité, la qualité, la relation…) correspond l’esse accidentel. Mais l’esse ut actus essendi est le principium subsistendi de la substance, grâce auquel tant l’essence de la substance que celle des accidents sont en acte et agissent dans la réalité : l’esse des accidents est l’esse in actu dans le tout qu’est la substance première, il est donc une existence secondaire dérivée de l’existence principale qui appartient de droit à la substance réelle comme un tout en acte[9].

L’expérience, puis l’analyse métaphysique, montrent qu’il y a plusieurs niveaux successifs d’être en acte (esse in actu) dans l’étant : celui de la substance, puis celui des formes accidentelles, et enfin celui des opérations ; mais cette « diremption », comme aime à dire Fabro, c’est-à-dire cette distribution de l’être, procède d’un seul acte d’être (esse ut actus), qui s’épanche dans l’étant par l’intermédiaire de la substance, puis des puissances opératives. L’actus essendi est ainsi ce par quoi la substance, statiquement, subsiste ; puis ce en raison de quoi, dynamiquement, elle opère, selon les possibilités que lui donne sa nature. Cette double valence de l’esse intensif parvient à son degré maximum lorsque, l’essence réceptive étant spirituelle, le sujet subsistant et opérant est alors une personne, dont l’activité retourne, pour ainsi dire, sur le « je » dont elle émane. La personnalité implique ainsi l’intentionnalité et la réflexivité, c’est-à-dire l’esse in actu secundo des facultés spirituelles propres à une nature qui transcende la matière, mais elle est formellement constituée par la subsistence d’une telle nature dans son esse ut actus propre. C’est pourquoi le Verbe Incarné a bien une nature et des opérations parfaitement humaines, sans être aucunement une personne humaine : l’esse in actu de son humanité s’enracine dans l’unique esse ut actus du Verbe divin[10].
            C’est à Eudaldo Forment Giralt que revient l’honneur d’avoir explicitement thématisé une métaphysique de la personne à partir du primat de l’esse. En s’appuyant sur de nombreux textes du Docteur Commun, le maître de Barcelone affirme très clairement que l’acte d’être est le principe auquel participent toutes les perfections de l’étant, à commencer par celle de l’essence elle-même :

El ser es el que, por incluir todas las perfecciones, confiere al «recipiente» las perfecciones que posee este último. La esencia, por consiguiente, lo que hace no es completar, o perfeccionar, a su ser, con el que constituye el ente, sino limitarlo, o rebajarlo, en sus perfecciones, según cierto grado o medida. La esencia, por tanto, carece de toda perfección, o realidad. Sus perfecciones y su misma realidad las ha recibido del ser[11].

La substance créée, c’est de l’être reçu selon une certaine mesure, indiquée par l’essence. Or il appartient à la substance, en tant que sujet, de subsister, c’est-à-dire de posséder l’être en elle-même et par elle-même[12]. À l’instar des deux auteurs précédents, Forment en déduit de manière très cohérente que la cause qui fait subsister la substance est celle-là même qui lui confère immédiatement l’être, c’est-à-dire l’actus essendi[13]. Mais puisque la personne se définit précisément comme « distinctum subsistens in natura intellectuali »[14], le principe en vertu duquel la personne créée est à la fois subsistante et intellective consiste en l’acte d’être d’une essence spirituelle :

El principio personificador, el que es la raíz y origen de todas las perfecciones de la persona, incluida su individualidad total, es su ser propio. Según la metafísica del ser de Santo Tomás, todas las perfecciones del ente, que son expresadas por su esencia, se resuelvan en último término en el acto de ser. Lo que hace que un individuo de naturaleza humana, compuesto de cuerpo y alma, sea una persona no es algo que pertenezca propiamente a esta naturaleza, sino su ser propio, acto primero, constitutivo y fundamento de la misma esencia, y causa inmediata de todas las perfecciones[15].

            Dans la personne humaine, comme d’ailleurs en tout suppôt réel, l’esse exerce une double fonction. D’une part, il actue toute la perfection formelle à laquelle l’essence est en puissance, et qui est celle d’un composé hylémorphique individuel dont la forme est une âme qui émerge au-dessus de la corporéité et peut lui survivre : voilà sa fonction « entificatrice » (función entidificadora). D’autre part, le même et unique esse originaire fait exister cette substance individuelle de nature rationnelle en elle-même, et non dans un autre : voilà sa fonction réalisatrice (función realizadora o existencial)[16]. Grâce à cette double fonction de son esse, la personne se possède elle-même : entitativement, parce qu’elle subsiste en elle-même ; et opérativement, parce que l’activité qui procède de sa nature spirituelle revient sur elle-même[17]. Forment fonde et réconcilie ainsi dans l’acte d’être les deux grandes caractéristiques la personne, celle de la subsistence ontologique et celle de la conscience intentionnelle.
            Cette reductio ad esse paraît, au premier abord, se heurter frontalement à un texte de saint Thomas que citent fréquemment les héritiers de Cajétan :

[…] et ideo, licet ipsum esse non sit de ratione suppositi, quia tamen pertinet ad suppositum, et non est de ratione naturae, manifestum est quod suppositum et natura non sunt omnino idem in quibuscumque res non est suum esse[18].

L’Aquinate semble soutenir ici que l’esse n’appartient pas à la ratio du suppôt, c’est-à-dire à sa notion constitutive, non plus qu’à celle de la nature créée (ce deuxième point étant évident en thomisme), mais que le suppôt et la nature diffèrent néanmoins en ceci que l’esse « concerne » ou « regarde » le suppôt (pertinet ad), au lieu qu’il reste autre que la nature. Les tenants du mode de subsistence en déduisent que la nature est constituée en suppôt par un terme qui, n’étant ni l’esse ni la nature elle-même, doit être nécessairement une tierce entité[19]. À cette objection majeure, Forment répond en s’appuyant sur la tradition thomiste opposée à Cajétan, celle qui remonte à Capréolus[20], et qui fut notamment illustrée au XXe siècle par le cardinal Louis Billot S.J. L’exposé de celui-ci est si clair qu’il mérite d’être cité longuement :

[...] cum subsistens creatum nihil aliud sit quam substantia habens suum proprium esse in se, ut saepe inculcatum est, duobus modis sumi et significari potest: realiter scilicet, et denominative. Realiter sumptum, dicit totum compositum ex essentia et esse, quorum utrumque in sui ratione intrinseca claudit. Denominative autem acceptum, dicit tantum substantiam individuam, connotando esse quod ab illa habetur, quandoquidem omne subiectum habens perfectionem, a perfectione habita recte denominari potest. Et simile est de albo, quod realiter consideratum dicit compositum ex subiecto et albedine, sed denominative dicit solum subiectum, connotando albedinem quae illud afficit et in eo recipitur. Et haec est ratio cur S. Thomas aliquando dicit quod esse pertinet ad ipsam constitutionem subsistentis, aliquando vero excludit esse ab eo quod importat in recto ratio suppositi. Sed nulla est ibi contradictio, quia ut bene animadvertit Capreolus in III, D. 5, Quaest. 3 circa finem: « Album est duplex, denominativum et formale; ita etiam persona vel suppositum potest dici dupliciter. Primo modo denominative, et sic suppositum dicitur illud individuum quod per se subsistit. Secundo modo formaliter, et sic suppositum dicitur compositum ex tali inividuo et ex sua subsistentia per se ». Non mirum igitur videri debet si S. Thomas rem subsistentem modo una, modo altera ratione accipiat, et per consequens sibi semper constare dicendus sit, licet quandoque verba discordare videantur[21].

            La clef du problème consiste ainsi en la distinction entre le suppôt considéré denominative, c’est-à-dire selon qu’il est dit être ce qui est « posé sous » (sub-positum) l’esse et les accidents, d’une part, et le même suppôt considéré realiter, c’est-à-dire en tant qu’il est réellement ce qui subsiste, d’autre part. Sous le premier aspect, le suppôt se rapporte à l’esse et en dépend, mais il ne l’inclut pas : en ce sens, le suppôt (ou la personne) est ce qui a l’esse, mais ne se définit pas par l’esse, bien qu’il soit sous l’esse, de la même façon, mutatis mutandis, que l’homme blanc denominative est bien le sujet de la blancheur, mais ne se définit pas par la blancheur que néanmoins il possède. C’est sur ce registre que saint Thomas peut écrire que « esse […] personam autem, sive hypostasim, consequitur sicut habentem esse[22] ». Sous le second aspect, en revanche, le suppôt inclut l’esse comme ce en vertu de quoi il subsiste : en ce sens, il est ce qui a l’esse en soi, et non en un autre, de la même manière, analogiquement, que l’homme blanc realiter (Billot) ou formaliter (Capréolus) n’est vraiment tel que grâce à la composition ontologique de la substance homme et de l’accident blancheur. C’est dans cette optique que le Docteur Angélique note, sans se contredire, que « esse pertinet ad ipsam constitutionem personae[23] ». La distinction entre ces deux regards sur la personne provient de la composition réelle qui caractérise tout étant créé : ce qui est doit tout ce qu’il est à son acte d’être, de telle sorte que la personne, comme tout autre suppôt réel, est constituée par son esse spécifié et limité par son essence ; mais ce qui est, n’est pas son propre acte d’être, de telle sorte que le suppôt, sous l’esse auquel il participe, ne s’identifie pas à celui-ci.





[1] Expositio Libri Boetii De ebdomadibus, lect. 2.
[2] Sententia super Physicam VIII, lect. 21, n. 13.
[3] É. Gilson, Le Thomisme, 177-178. Chacun sait que Gilson traduisait habituellement l’esse thomiste par « exister » ou « acte d’exister », pour éviter l’ambiguïté du verbe substantivé « être », qui signifie plutôt ens que esse. À la fin de sa vie, il revint sur cet usage, comme en témoigne la troisième édition, publiée en 1972, de Id., L’Être et l’essence, 350-351 : « J’écrirais aujourd’hui sans hésiter, d’un bout du livre à l’autre, étant, pris substantivement, pour désigner l’ens, ou “ce qui a l’être”, et je réserverais le mot être, pris lui aussi substantivement, pour signifier ce que saint Thomas nommait esse, ou actus essendi, qui est l’acte en vertu duquel un étant est un être actuel ».
[4] Cf. É. Gilson, L’Esprit de la philosophie médiévale, 192, note 1 : « L’être est l’acte même d’exister. En se posant par cet acte, l’être se pose en soi et pour soi. Puisqu’il est, il est par définition lui-même et nul autre : indivisum in se et divisum ab alio ; on nomme précisément substance l’être conçu dans son unité indivise, et l’on nomme subsistence la propriété qu’il a d’exister comme substance, c’est-à-dire pour soi et sans dépendance substantielle à l’égard d’un autre être. Ainsi l’acte d’être cause la substance et sa subsistence ».
[5] É. Gilson, Le Thomisme, 371.
[6] Cf. É. Gilson, « Éléments d’une métaphysique thomiste de l’être », n° 39, 117 : « L’opération vient donc de l’être de l’étant et lui retourne comme le posant dans sa complète actualité ».
[7] C. Fabro, Participation et causalité selon S. Thomas d’Aquin, 630.
[8] En effet, saint Thomas décrit ainsi la substance in Quaestiones de quolibet IX, q. 3, ad 2 : « substantia est res cuius naturae debetur esse non in alio; accidens vero est res, cuius naturae debetur esse in alio ».
[9] C. Fabro, Participation et causalité selon S. Thomas d’Aquin, 265.
[10] Cf. C. Fabro, «La problematica dello “esse” tomistico », 122 : « Quindi in Cristo c’è un unico esse suppositi come atto costitutivo intenso. C’è un duplice esse se si prende l’esse come “esse in actu” perchè due sono le nature secondo le quali è in atto la Persona del Verbo, la divina e l’umana: altro quindi è il modo di “essere in atto” secondo la natura divina e altro secondo la natura umana ».
[11] E. Forment, Lecciones de Metafísica, 248.
[12] Cf. De potentia, q. 9, a. 1, c : « Substantia vero quod est subiectum, duo habet propria. Quorum primum est quod non indiget extrinseco fundamento in quo sustentetur, sed sustentatur in seipso ; et ideo dicitur subsistere quasi per se et non in alio existens ».
[13] Cf. E. Forment, Ser y persona, 37-38: « Si lo que hace existir o encontrarse en la realidad del modo que sea es el “esse”, lo que hará existir a la sustancia de un modo especial será el “esse”. Como este modo de existir es el subsistir, esto es, el existir “in se et per se”, en sí y por sí, o por propia cuenta y no por la de otro, lo que hará existir así será el “esse” de la sustancia, su “esse” propio, pues si existiera por otro “esse”, que no fuera el de la sustancia, ésta ya no existiría por sí misma sino por otro, y, por tanto, ya no sería subsistente. Así, pues, la causa del subsistir es el “esse” propio, y, por tanto, para que algo subsista es preciso que posea un “esse” propio ».
[14] Scriptum I, d. 23, q. 1, a. 4, c.
[15] E. Forment, « La “trascendentalidad” de la persona en Santo Tomás de Aquino », 279.
[16] Cf. E. Forment, Ser y persona, 36-37: « Este último [= l’actus essendi], por tanto, realiza dos funciones. Una entificadora, pues convierte a la esencia en ente, ya que éste es la esencia que tiene el “esse”, y, por ello, la esencia sin el “esse” no es un ente. […] La segunda función se puede llamar realizadora o existencial, pues hace que este ente que ha constituido, esté presente en en la realidad o exista ».
[17] Cf. E. Forment, « Persona y conciencia en santo Tomás de Aquino », 279 : « El ser propio, en el grado que lo posee la persona, y que la constituye formalmente, le confiere la autoposesión. La persona se posee no sólo entitativamente, como los demás entes, sino también por sus facultades superiores, que manifiestan, con ello, que son espirituales, o propias de una substancia inmaterial, que posee un ser propio ».
[18] Quaestiones de quolibet II, q. 2, a. 2, ad 2.
[19] Cette justification du mode terminatif de subsistence se trouve par exemple en R. Garrigou-Lagrange, La Synthèse thomiste, 657-667.
[20] En s’appuyant ici sur Capréolus, puis en citant Billot, M. Forment montre qu’il porte sur les commentateurs scolastiques de l’Aquinate un autre regard que C. Fabro, lequel, en Participation et causalité selon S. Thomas d’Aquin, 309, reproche au Princeps thomistarum d’exprimer le couple esse – essentia au moyen des locutions esse actualis existentiae – esse essentiae, comme le faisait l’albertiste Jean de Nova Domo à la suite d’Henri de Gand, ce qui oriente déjà l’esprit vers une actualité par soi de l’essence.
[21] L. Billot, De Verbo Incarnato, Commentarius in tertiam partem S. Thomae, 56-57. Le passage cité du Princeps thomistarum se trouve en Capréolus, Defensiones theologiæ Divi Thomæ Aquinatis, In III Sent., dist. 5, q. 3, a. 3, § 2, II, ad 4, 110b : « Illa etiam persona, vel suppositum, potest dici dupliciter : primo modo, denominative, et sic suppositum dicitur illud individuum quod per se subsistit; secundo modo, formale, et sic suppositum dicitur compositum ex tali individuo et ex sua per se subsistentia ». E. Forment examine la position de Billot dans Ser y persona, 251-256, et celle de Capréolus dans le même ouvrage, passim.
[22] ST III, q. 17, a. 2, ad 1.
[23] ST III, q. 19, a. 1, ad 4.

jeudi 18 juillet 2013

Jornada de Estudios Tomísticos en Barcelona

            Le vendredi 12 juillet dernier, nous avons eu l’honneur de participer à une belle journée d’études thomistes, organisée par l’Université Abat Oliba de Barcelone. Elle avait pour thème Ser y Persona, l’être et la personne. Parfois, ce genre de sujet donne lieu à des colloques un peu décousus, où chacun expose en définitive ce qu’il veut. Tel n’était aucunement le cas : un fil conducteur parfaitement lisible unissait les différentes interventions, qui étaient toutes de bonne tenue scientifique. En attendant la publication des Actes, nos lecteurs pourront écouter l’ensemble des exposés en cliquant sur les liens suivants :




dimanche 23 juin 2013

Musica, classica ovviamente

Benché non cerchiamo, in questo bloc-notes, di commentare l’attualità, ci sembra importante, oggi, di citare un articolo pubblicato da Giuseppe Rusconi:

Per illustrarne la pertinenza, proponiamo pure lo splendido Concerto per fagotto ed orchestra, KV 191, di Mozart:

Non possiamo concepire la vita cristiana senza il corteo di tutti i trascendentali, ed in particolare della bellezza, che ne è come il loro ambasciatore.

samedi 25 mai 2013

Guido Reni, La Sainte Trinité

            Au XVIIe siècle, les représentations picturales de la Sainte Trinité ne furent pas très nombreuses, car les programmes iconographiques consécutifs à la Contre-Réforme étaient davantage orientés vers la vie du Christ, de la Vierge ou des saints. Guido Reni nous a pourtant laissé une splendide Trinité pour le maître-autel de l’église éponyme de la Trinità dei Pellegrini. Elle est d’une lecture fort aisée. Le Père trône en majesté dans la partie supérieure du tableau. Il est revêtu d’une tunique blanche et d’une somptueuse chape violette et rouge, symboles de sa divinité fontale et de son autorité suprême. Il porte une barbe, comme les vieillards, parce qu’il est l’Inengendré ; et sa tête est surmontée d’un nimbe crucifère, parce qu’il n’a qu’une pensée, son Fils, qui est marqué pour l’éternité au sceau de la Croix. C’est pourquoi le Verbe est représenté comme le Crucifié, bien qu’il soit désormais dans la gloire : en effet, pour nous autres mortels, il n’est pas d’autre accès à la Trinité bienheureuse que la Croix. Au-dessus du Christ est la colombe de l’Esprit-Saint, qui éploie ses ailes sur le sein du Père : c’est ici en effet qu’il conduit ceux qui gardent les commandements du Fils. Le Père, l’Esprit, et le chef du Verbe Incarné apparaissent sur un ciel d’or, symbole de l’éternité où réside la divinité ; en revanche, la Croix et le corps du Crucifié émergent sur une nuée et un ciel d’azur, qui évoquent à la fois notre monde et la paradoxale théophanie que fut la mort de Jésus. Des anges ponctuent toute la scène : on les devine innombrables autour du Père et de l’Esprit, et on en distingue nettement quatre autour du Christ. Peut-être Guido s’est-il souvenu que le nombre quatre symbolise la terre et, plus amplement, la création, de sorte que ces deux anges et ces deux angelots seraient alors comme le pendant créé de la Triade incréée, l’humanité du Christ étant le pont qui relie les deux univers. Conclusion : dans la Rome baroque aussi, l’art guidé par la théologie savait représenter la totalité du Mystère révélé.

Guido Reni, La Sainte Trinité, 1625,
Rome, église de la Trinité-des-Pèlerins.

Gonzague de Reynold, Le Chant de la Bérézina

            Gonzague de Reynold nous a laissé, dans La Gloire qui chante, un « chant » qui ne prétend pas compter parmi les chefs-d’œuvre de la poésie française, mais qui exprime fort bien, cependant, le drame de notre condition terrestre, et l’inéluctabilité de son terme. Si la foi donne sens à ce pèlerinage, elle n'en n'évacue pourtant pas l'âpreté.


Notre vie est un voyage
Dans l’hiver et dans la nuit,
Nous cherchons notre passage
Sous un ciel où rien ne luit.

La souffrance est le bagage
Qui meurtrit nos reins courbés ;
Dans la plaine aux vents sauvages
Combien sont déjà tombés !

Dans la plaine aux vents sauvages
Le vent les a déjà couverts ;
Notre vie est un voyage
Dans la nuit et dans l’hiver.

Pleurs, glaces, sur nos visages
Vous ne pouvez plus couler.
Et pourtant, amis, courage :
Demain va vous consoler !

Demain, la fin du voyage,
Le repos après l’effort,
La patrie et le village,
Le printemps, l’espoir, - la mort !

Gonzague de REYNOLD,
La Gloire qui chante,
Spes, Lausanne, 1919, p. 56 – 57.

lundi 22 avril 2013

Esse, essentia, ordo


                        Nous signalons à nos aimables lecteurs que nous avons mis en ligne notre étude « Esse, essentia, ordo, pour une métaphysique de la participation opérative », publiée in Espíritu 61/143 (2012), p. 9-71. Le texte est disponible en cliquant sur le lien correspondant dans la rubrique « publications ».

samedi 12 janvier 2013

Marc Fumaroli et la représentation du Baptême du Christ par Nicolas Poussin


            Par rapport à la critique d’art des générations précédentes, Marc Fumaroli a le grand mérite d'avoir redécouvert les théories de la représentation picturale dont s’inspiraient les peintres antérieurs au siècle des Lumières, et notamment ceux du XVIIème siècle. À cet égard, L’École du silence, Le sentiment des images au XVIIe siècle est un maître livre. Il ne méconnaît ni ne nie tout ce que les études bien connues d’un Heinrich Wölfflin[1] ou d’un Eugenio d’Ors[2] peuvent nous apprendre sur l’âge baroque – concept que relativise d’ailleurs Fumaroli -, mais il nous permet d’entrer dans une compréhension beaucoup plus profonde des œuvres de ce temps. La thèse de fond affirme l’importance de la rhétorique classique héritée d’Aristote et de Quintilien, ou plutôt d’une transposition « silencieuse » de cette discipline, pour la création picturale au XVIIème, et donc pour une contemplation intelligente des œuvres que nous a laissés le Seicento. C’est en appliquant cette méthode que Fumaroli commente Le Baptême du Christ de Nicolas Poussin :

[…] nous pouvons faire un dernier pèlerinage devant un tableau de Poussin, le Baptême du Christ de Philadelphie (1653-1655). Par une apparente inversion des rôles et des attitudes, c’est Jean-Baptiste dans cette composition, debout, incliné légèrement en avant, les deux mains tendues pour former la coupe d’eau lustrale, au-dessus de la tête de Jésus, qui semble revêtir ce port sacerdotal des logophores réservé ailleurs au Christ, et c’est le Christ, vu de trois quarts et de dos, agenouillé et la tête baissée, qui semble avoir revêtu l’humilité expectative de la pécheresse dans la Femme adultère. Mais cette équivoque superficielle est prévenue par des signes puissants et indubitables. La toge noblement drapée qui enveloppe le Christ donne à cette figure agenouillée une majesté royale qui contraste avec le sayon et les grègues plébéiens que porte le Baptiste, et avec la semi-nudité des autres candidats au baptême. Le visage du Christ est penché, mais au-dessus de l’eau miroitante du Jourdain qui reflète le ciel. Et c’est bien la main ouverte du Christ sortant à peine de sa toge, qui suffit à donner au Baptiste, et à tout le groupe qui le suit, leur orientation. Elle entraîne à vénérer (en l’absence des accessoires habituels de la scène sacrée : la colombe du Saint-Esprit et Dieu le Père dans les nuées) la divinité de la lumière reflétée dans les eaux. En se faisant serviteur de l’humanité, représentée dans cette action par saint Jean-Baptiste, chef et tête d’un groupe agenouillé et demi-nu de disciples, le Verbe incarné peut bien s’incliner : il n’en est pas moins l’acteur principal et le sujet d’un sacre public, d’une dicatio. Tous les autres gestes, toutes les attitudes diverses de ce groupe sont suspendus au sien, à son service, et son apparente abdication d’autorité, dans ce désert empli de silence et de lumière, est en réalité la suprême représentation du retrait dans les profondeurs qui, dans l’univers de Poussin, signale l’éclosion et la présence d’une plus forte parole. Dans une mise en scène plus peuplée, le Baptême d’Édimbourg (1644) délivrait déjà ce message : le Christ agenouillé de face, ceint du même linge qu’un Crucifié, recevant humblement le baptême de Jean debout, n’en était pas moins le maître royal de la lumière et de l’action. L’événement et l’avènement du Verbe, dans ce retrait silencieux où la peinture est à même de les montrer, y sont saisis à l’état naissant, dans cet Ouvert dont parle Rilke, et où ils donnent au message la puissance retenue d’une parole intacte, contagieuse, sainte et sacrée, parce que non encore proférée. L’efficacité de la parole est en raison inverse de la prodigalité à se répandre[3].

Nicolas Poussin, Le Baptême du Christ, 1653-1655
Philadelphie, John G. Johnson Collection

Nicolas Poussin, Le Baptême du Christ, 1647
Édimbourg, National Gallery of Scotland




[1] Cf. Heinrich Wölfflin, Kunsgeschichtliche Grundbegriffe : das Problem der Stilenentwicklung in der neueren Kunst, Bâle, Schwabe, 192004 ; Id, Principes fondamentaux de l’histoire de l’art : le problème de l’évolution du style dans l’art moderne, trad. fr. de Claire et Marcel Raymond, Paris, G. Montfort, 1994.
[2] Eugenio d’Ors, Lo Barrocco, Madrid, Tecnos, 1993.
[3] Marc Fumaroli, L’École du silence, Le sentiment des images au XVIIe siècle, Paris, Flammarion, 1998, p. 226-227.