Chaque jour efface
Nos jours, et le Temps
Recouvre leur trace,
La creuse ou l’étend.
Mais tout s’y rapporte
Au même destin :
Les délices mortes
Le douloir éteint.
Si haut élancée
Que fût ta pensée
De sage ou de fol,
Vois, elle est au sol :
Utile ou futile,
Puissante ou subtile,
Nous en retombons
– Tristes
vagabonds
D’un éther inane –
Au creux du chemin
Où le genre humain
Fait sa caravane.
Léon Rameau [= Charles Maurras], Au-devant de la nuit,
Lyon, H.
Lardanchet, 1947, p. 7.
Dans une thèse de doctorat ès Lettres soutenue à
l’Université Michel de Montaigne (Bordeaux III), M. Julien Cohen commente ainsi
ce poème :
En 1946[1],
paraît chez l’éditeur Lardanchet, un recueil poétique signé de Léon Rameau, Au-devant de la nuit. […]
Apparemment fort éloigné des habitudes éditoriales de
Maurras, cet Au-devant de la nuit
semble ne s’intéresser qu’à fixer un moment de destin, celui d’un homme seul
devant la mort. La construction en deux parties comprend 18 et 24 pièces. Elle
est précédée d’un court poème en lettres italiques, lui-même divisé en deux
ensembles, de 8 et 12 vers. Sans titre, ce premier poème de prologue sera
intitulé en table des poèmes selon son premier vers « Chaque jour efface ».
Chaque
jour efface est composé de pentamètres, le mot tombant à
la rime éclairant le propos :
temps
– trace – destin – mortes – éteint – pour la première strophe.
pensée
– fol – sol – futile – subtile – retombons – vagabonds – chemin – humain –
caravane pour la seconde.
L’ensemble indique la fuite des jours,
de « nos » jours, l’ensemble poétique construisant une communauté par
l’utilisation exclusive de la 1ère personne du pluriel, le nous
étant souligné d’une apposition entre tirets – Tristes vagabonds d’un éther
inane –.
La perte de notre durée terrestre
est un mal aussi commun que notre destin, puisque nous partageons les mêmes
joies, les mêmes peines, autant d’instants que nous croyons uniques mais qui
sont le lot commun du trajet humain. La première impression d’une unicité de la
vie se heurte à un Mais catégorique, l’évidence de la mort, destinée
commune, détruisant toute velléité de vie « individuelle ».
Les rimes croisées de la première
strophe, la brièveté des vers ajoutent à l’effet de balancement monocorde,
amplifié, dans la seconde strophe, par l’emploi de rimes plates. Les indéfinis
en oxymore Tout – Même – la construction en opposition des deux vers terminant
la première strophe, le présent de vérité générale, tout concorde à donner pour
évidence la perte de toute dimension personnelle de toute vie, quelque
« trace » qu’elle « creuse » :
Mais
tout s’y rapporte
Au
même destin
Les
délices mortes
Le
douloir éteint.
Expression
réaffirmée d’une inconsistance des jours enfuis, d’une superfluité de
l’existence que vient marteler la seconde strophe. L’idée de la vanité des
spéculations intellectuelles, « de sage ou de fol » construite sur
l’idée de la chute « Si haut élevée », « Vois, elle est au
sol », reprise par l’énumération en oxymore des adjectifs qualifiant cette
pensée : « Utile ou futile / Puissante ou futile » se voit
développée par l’absurdité du monde « un éther inane », que vient
parachever la métaphore filée du voyage :
Nous
en retombons
Tristes
vagabonds
D’un
éther inane –
Au
creux du chemin
Où
le genre humain
Fait
sa caravane.
Ce
début, d’un noir pessimisme, réfute tout orgueil, devenu dérisoire devant
l’évidence de la mort. Il est à noter que ce poème sera intitulé Intermède, dans la Balance intérieure, et situé entre les deux Colloque des morts[2].
Ajoutons un autre poème, du
même recueil et de même inspiration :
À son corps
Cher vêtement qu’il faut que je dépose
Pour ton usure
et pour ta vétusté,
En remontant
vers le trône des Causes
L’Âme sourit de
voir sa nudité.
Les grands
docteurs veulent que je compose
Avec ta chair
une étroite unité :
Manquera-t-il,
en mon fond, quelque chose,
Ô doux habit,
quand tu m’auras quitté ?
Mon pauvre corps
qui ne peux sous la lame
Rien que dormir
en espérant ton tour
De s’envoler sur
mes ailes de flamme.
Veuille le Dieu
m’accorder de longs jours
De solitude où
la gloire de l’âme
Ne chantera que
jeunesse et qu’amour.
Léon Rameau [= Charles Maurras], Au-devant de la nuit,
Lyon, H.
Lardanchet, 1947, p. 73.
[1] Le copyright du volume est de 1946, mais la date
indiquée sur la page de titre est 1947.
[2] Julien Cohen,
Esthétique et politique de Charles
Maurras, t. II, [Thèse de doctorat en littératures française, francophone
et comparée], Université Michel de Montaigne Bordeaux III – Universitat de
Barcelona, s. d., p. 788-790. URL = http://diposit.ub.edu/dspace/handle/2445/62356
.
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