Comment
les jours douloureux et peut-être périlleux que nous traversons ne nous
inciteraient-ils pas à méditer sur le destin de la France ? Deux textes
nous revenaient ces jours-ci en mémoire, que nous voudrions avoir le temps de
commenter… Pour l’heure, nous nous contentons d’en mettre deux extraits en
ligne : ils inspireront nos lecteurs.
Le
premier provient d’un discours prononcé par André Malraux à l’Institut
Charles-de-Gaulle voici quarante ans, le 23 novembre 1975. Même ceux qui ne
goûtent pas le romantisme tardif de leur auteur
- il en est d’illustres tels que, croyons-nous, Marc Fumaroli -, même
ceux-là devraient y trouver de quoi alimenter leurs réflexions présentes.
« Quand la France redeviendra la France, on repartira de ce
que j'ai fait, non de ce que l'on fait depuis mon départ ». De ses idées ou
d'un autre 18 Juin ? Il a toujours dit que son idéologie courait mal en terrain
plat. La France survivra si la volonté nationale la maintient jusqu'au
surgissement de l'imprévisible : quand Richelieu fut appelé, elle était une
puissance de second ordre. Le Général pensait : péripétie, de tout ce qui
menaçait visiblement la France ; mais du monde aveugle, qui la balkanise ? Richelieu
ne craignait pas la fin de la Chrétienté. Mais le Général : « J'ai tenté de
dresser la France contre la fin d'un monde. » La Nation avec une majuscule,
celle à laquelle la France convertit autrefois l'Europe, est née de « la Patrie
en danger », de la métamorphose fulgurante imposée par la Convention. En 1940,
la France a été directement concernée. L'est-elle toujours dans ce monde
informe où les derniers empires s'affrontent à tâtons ? « Elle étonnera encore
le monde ». Aux Invalides, à l'exposition de la Résistance, devant le poteau
haché de nos fusillés entouré de journaux clandestins, le Général déclarait à
l'organisateur : « Il n'y avait plus personne, sauf eux, pour continuer la
guerre commencée en 1914 : comme ceux de Bir Hakeim, ceux de la Résistance ont
d'abord été des témoins ». Lui aussi. Seul à Colombey entre le souvenir et la
mort, comme les grands maîtres des chevaliers de Palestine devant leur
cercueil, il était encore le grand maître de l'Ordre de la France. Parce qu'il
l'avait assumée ? Parce qu'il avait, pendant tant d'années, dressé à bout de
bras son cadavre, en croyant, en faisant croire au monde, qu'elle était vivante
? Il a survécu aux adversaires : Hitler, Mussolini, comme aux Alliés :
Roosevelt, Churchill, Staline. Avec le sentiment des généraux napoléoniens
quand ils disaient, vers 1825 : « Au temps de la Grande Armée... » Toutes ces
ombres amies ou maléfiques jouent sur la lande avec leurs cartes noires, fou
compris. L'Europe en flammes, le suicide de Hitler dans son bunker, les trains
arrêtés qui sifflent longuement dans les solitudes sibériennes, pour la mort de
Staline...
Il pensait que la France élue l'était aussi par
l'imprévisible. Que ça n'allait pas très bien, lorsque Isabeau de Bavière
signait le traité de Troyes. Que la passion qui le liait à l'espoir était plus
forte encore que l'autre. Il pensait certainement aussi, avec une sombre
fierté, ce qu'il n'a pas écrit : « Si le dernier acte de ce qui fut l'Europe a
commencé, du moins n'aurons-nous pas laissé la France mourir dans le ruisseau.
»[1]
L’autre texte provient d’un penseur
dont le Général aurait dit qu’il « avait tellement raison qu’il en est
devenu fou »[2].
C’est une lettre écrite en prison par Charles Maurras à Pierre Boutang, qui fut
sans doute le plus intelligent et le plus fin des disciples du Martégal. En
voici l’extrait le plus significatif :
Et si, comme je ne crois pas tout à fait absurde de le
redouter, si la démocratie […] étant devenue irrésistible, c’est le mal, c’est
la mort qui doivent l’emporter, et qu’elle ait eu pour fonction historique de
fermer l’histoire et de finir le monde, il faut que cette arche
franco-catholique soit construite et mise à l’eau face au triomphe du Pire et
des pires. Elle attestera, dans la corruption éternelle et universelle, une
primauté invincible de l’Ordre et du Bien. Ce qu’il y a de bien et de beau dans
l’homme ne se sera pas laissé faire[3].
On
aura noté l’étonnante convergence entre ces deux pessimistes actifs que furent
le fondateur de l’Action française et
l’initiateur de la Résistance. « Si […] c’est le mal, c’est la mort qui
doivent l’emporter » ; « si le dernier acte de qui fut l’Europe
a commencé ». Domine, salvam fac
Galliam !
[1] André Malraux, « Discours pour le
cinquième anniversaire de la mort du Général de Gaulle », Institut Charles-de-Gaulle,
23 novembre 1975, Espoir 13 (1975),
p. 28.
[2] François Huguenin, in L’Action française, [collection Tempus], Paris, Perrin, 22011,
p. 478, cite le propos, sans discuter son authenticité.
[3] Charles Maurras, « Lettre à Pierre Boutang »,
in Pierre Boutang, Maurras, la destinée et l’œuvre, Paris,
Plon, 1984, Appendice.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.