Benozzo Gozzoli, Le triomphe de saint Thomas d'Aquin, 1471

samedi 23 avril 2011

Nicolas Poussin, « Descente de Croix »

            Au premier plan, le cadavre du Christ, exsangue et meurtri, mais sans traces extérieures de sang, comme s’il l’avait entièrement versé pour la rédemption des pécheurs. Il est représenté en diagonale, reposant en partie sur un support de bois à peine distinct. Les traits du visage, mais aussi le coloris de la peau sont très nobles, dans des tons blancs et jaunâtres, soulignés par le blanc pur du linge qui entoure les jambes et le dos. Deux angelots sont à ses pieds, l’un tenant la couronne d’épines, et l’autre baisant la jambe gauche. En surplomb, la Vierge Mère vêtue de bleu sombre, et saint Jean, le disciple bien aimé, en vermillon. Derrière l’Apôtre, dans une nuance à peine plus sombre, la clamyde écarlate dont les soldats du prétoire avaient affublé le Sauveur. Rouge, bleu, blanc : comme toujours chez Poussin, les personnages principaux, qui sont ici presque les seuls, sont traités en couleurs pures ; il nous semble qu’elles symbolisent respectivement, pour Jean et pour Marie, la charité et la compassion, celle-ci étant entendue comme participation très profonde à l’obscurité divine de la Passion qui vient de s’achever. Bien évidemment, il n’y a pas de jaune ni d’or, couleurs de gloire qui n’ont pas de place le Vendredi Saint. Le corps de Jésus tend vers le blanc ; certes, ce choix pictural était obligé pour l’artiste ; mais si le traitement que lui donne Poussin laisse voir, d’un côté, des chairs ravagées par la violence des coups subis, la tonalité d’ensemble semble déjà presque apaisée : le grand œuvre de l’expiation vicaire est désormais accompli.
            La même synthèse de réalisme et de symbolisme se retrouve au deuxième plan. Deux poteaux de croix s’élèvent de part et d’autre de la scène, et l’échelle qui a servi à descendre le corps du Crucifié est encore adossée à l’instrument de sa mise à mort. Une immense pièce de drap, pourtant, pend de l’un des bras de la Croix, et l’une de ses extrémités est accrochée à l’un des paliers de l’échelle. Quel est-il, et d’où vient-il ? Deux indices nous permettent de risquer une hypothèse. Le plus frappant est sans doute sa couleur et sa situation, qui répondent à celles du corps de Jésus : mêmes nuances blanches et jaunâtres quant à la première, position en chiasme quant à la seconde. L’autre indice, plus léger il est vrai, nous est livré par les murailles de Jésuralem, que l’on devine à l’arrière-plan droit. Ce drap blanc, si semblable au Crucifié, ne serait-il pas, alors, le voile du Temple, dont saint Matthieu nous dit qu’il se déchira lorsque le Christ expira[1], et que  - au-delà bien sûr du texte inspiré -  le souffle ou les anges auraient transporté sur le Golgotha ? L’auteur de la lettre aux Hébreux écrit en effet ceci :

Ayant donc, frères, l’assurance voulue pour l’accès au sanctuaire par le sang de Jésus, par cette voie qu’il a inaugurée pour nous, récente et vivante, à travers le voile – c’est-à-dire sa chair – , et un prêtre souverain à la tête de la maison de Dieu, approchons-nous avec un cœur sincère, dans la plénitude de la foi, les cœurs nettoyés de toutes les souillures d’une conscience mauvaise et le corps lavé d’une eau pure[2].

Si notre interprétation est correcte, alors Poussin a voulu signifier que le vrai Temple est le corps de Jésus-Christ qui, même mort, est uni hypostatiquement à la Personne du Verbe, et que cette mort nous ouvre « l’accès au sanctuaire » où Dieu se montrera tel qu’il est en lui-même. Alors le cadavre qu’entoure la piété de Marie et de Jean est déjà une promesse de sa résurrection, puis de la nôtre.

Nicolas Poussin, Descente de Croix, 1630.
Saint-Pétersbourg, Musée de l'Ermitage.



[1] Cf. Mt 27, 50-51 : « Or Jésus, poussant de nouveau un grand cri, rendit l’esprit. Et voilà que le voile du Sanctuaire se déchira en deux, du haut en bas ; la terre trembla, les rochers se fendirent ».
[2] Hb 10, 19-22.

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