Benozzo Gozzoli, Le triomphe de saint Thomas d'Aquin, 1471

lundi 9 juillet 2012

Le «Portrait de Chateaubriand au milieu des ruines de Rome» de Girodet

            Les bons ouvrages sur Chateaubriand ne manquent pas. S’il faut inscrire au tout premier rang le monumental Chateaubriand, Poésie et Terreur de Marc Fumaroli, parce qu’il manifeste une compréhension très profonde du génie de l’Enchanteur, il faut lire aussi les biographies de Jean-Paul Clément ou Ghislain de Diesbach, et maintenant celle que Jean-Claude Berchet a publiée en février de cette année 2012[1].

            Ce dernier nous propose une intéressante analyse du célèbre Portrait de Chateaubriand au milieu des ruines de Rome que nous a laissé Anne-Louis Girodet. Regardons d’abord le tableau :

Anne-Louis Girodet, Portrait de Chateaubriand au milieu des ruines de Rome, 1808.
Saint-Malo, Musée d'Histoire.


Et voici maintenant le commentaire de M. Berchet :

C’est au cours de ce même hiver qu’il est enfin entré en possession de son portrait par Girodet que le peintre avait exposé au Salon de 1810 (lequel ferma ses portes le 1er avril 1811) et qu’il avait jusqu’alors conservé dans son atelier. Ce superbe tableau ornera désormais le salon de Mme de Chateaubriand. Il ne représente pas un individu particulier mais « un homme méditant sur les ruines de Rome ». Cette mention, qui figure sur le livret du Salon, souligne le caractère de généralité qu’il faut accorder à cette œuvre. Elle se présente en effet comme une allégorie de cette phase néoclassicisante de la culture postrévolutionnaire que les historiens de la littérature ont beaucoup de mal à définir. Que voyons-nous ? Un homme debout, le coude gauche appuyé sur un pan de mur recouvert de lierre (symbole de la pérennité) et la main droite dans une échancrure (allusion possible à une manie impériale). Derrière lui, un peu en contrebas, on aperçoit le Colisée ; au loin, un horizon de montagnes bleuâtres. Au centre, le personnage est vêtu comme un simple particulier, sans uniforme, ni broderies, ni décorations ; il semble non pas perdu dans un rêve mais habité par une sorte de fièvre intérieure et par une volonté lucide. Il regarde ailleurs, et le désordre de sa chevelure noire qu’agite un souffle insolite comme la modernité de son costume (au coloris presque austère) font un singulier contraste avec la masse immobile du décor antique, accentué par la frontalité de la composition. Loin de vouloir mettre en valeur ici le défenseur du christianisme et de lui faire prendre la pose au milieu des emblèmes de la Rome pontificale (il aurait été facile de substituer au Colisée le dôme de Saint-Pierre), Girodet a préféré, sans doute sur les indications de son modèle, représenter un homme seul, entouré des vestiges de la Rome antique, absorbé dans une réflexion sur le temps et la mémoire, confronté à une Histoire qui se propose de réinscrire le sujet dans un cadre plus large que les limites du moi individuel. Le programme iconographique de ce tableau est donc en parfaite conformité avec la résolution prise par Chateaubriand à la fin des Martyrs et réitérée en conclusino de son Itinéraire de renoncer désormais à Calliope et à ses fictions séduisantes, pour se vouer à Clio et à la recherche de la vérité.

Jean-Claude Berchet, Chateaubriand,
Paris, Gallimard, 2012, p. 527-528.


[1] Cf. J.-P. Clément, Chateaubriand, Paris, Flammarion, 1998; G. de Diesbach, Chateaubriand, Paris, Perrin, 1998 ; J.-C. Berchet, Chateaubriand, Paris, Gallimard, 2012.

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