Comme d’autres poètes du XIXème siècle, tels
que Victor Hugo ou Alphonse de Larmartine, Gérard de Nerval était hanté par le
mystère de Dieu et celui du mal, et comme eux il semble avoir rêvé d’une
impossible apocatastase. Son cœur était déchiré entre l’appel de la grâce
chrétienne et les séductions de l’occultisme, et l’on sait que cette inquiétude
l'emmena très loin dans la mer sans rivage de la folie, pour s'achever ici-bas par son suicide dans la rue de la Vieille-Lanterne ,
le 26 janvier 1855. Quelle science véritable du mystère d’iniquité
lui donna ce commerce tragique avec les esprits, bons et surtout mauvais, du monde
invisible ? Personne ne saurait le dire précisément, car de toute façon le
lÒgoj de l’histoire
universelle demeure, jusqu’au jour du Jugement, le secret de Celui qui en est
l’Alpha et l’Oméga (Apoc. 1, 8).
C’est dans cet esprit d’abandon à la Providence que nous
pouvons relire une assez curieuse prophétie de Gérard, datée de 1851 :
Il
y a, certes, quelque chose de plus effrayant dans l’histoire que la chute des
empires, c’est la mort des religions… S’il était vrai que la religion
chrétienne n’eût guère plus d’un siècle à vivre encore, - ne faudrait-il pas
s’attacher avec larmes et avec prières aux pieds sanglants de ce Christ détaché
de l’arbre mystique, à la robe immaculée de cette Vierge mère, - expression
suprême de l’alliance antique du ciel et de la terre, - dernier baiser de
l’esprit divin qui pleure et qui s’envole !
Gérard
de Nerval, préface d’un article
sur Quintus Aucler,
cité
in Albert Béguin, Gérard de Nerval, Paris, José Corti,
1945, p. 52.
Certes,
l’ « esprit divin » ne saurait jamais ni pleurer ni s’envoler, et
il est à la fois vain et dangereux de déplorer je ne sais quelle impuissance du
Tout-Puissant. Nous n’en restons pas moins impressionnés par la pertinence de
la datation : un peu plus d’un siècle après 1851, cela nous conduit aux
années 1960, qui furent en effet celles où commença la grande sécularisation du
monde, que rien, pour le moment, n’a pas pu arrêter de façon décisive, pas même
la chute de l’empire soviétique en 1989. En France, nous en sommes à la
légalisation du « mariage » homosexuel et de l’euthanasie, pour ne
rien dire de l’effondrement des mœurs et de l’effacement du sens de la beauté. Caveant consules ! Et
attachons-nous plus que jamais au Christ, qui n’est plus sanglant mais
ressuscité pour toujours, ainsi qu’à « la robe immaculée de la Vierge Mère ».
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