Benozzo Gozzoli, Le triomphe de saint Thomas d'Aquin, 1471

jeudi 27 septembre 2012

De Claude Lorrain à Camille Corot


            Au-delà des écoles de peinture et des techniques de composition, dont les historiens de l’art cherchent fort justement à saisir, d’un âge à l’autre, l’originalité et la succession, les œuvres d’art nous intéressent dans la mesure où, participant à la beauté  - qui est l’un des noms de l’être -, elles en réveillent le goût dans le cœur de l’honnête homme en pèlerinage vers l’éternité. Or, de même que rien, dans la création divine, ne saurait être sans être et sans forme, de même rien ne pourra jamais être beau, dans la création humaine, sans lumière et sans harmonie. Ce principe, s’il était entendu dans toute sa hauteur et toute sa profondeur, devrait suffire à légitimer ce que nous appelons le classicisme essentiel. Celui-ci ne se confond aucunement avec le classicisme historique, qui n’en est qu’un moment ; il inclut bien d’autres esthétiques, et il n’exclut que l’informe et l’obscur, parce que, alors, l’« art » se mue en dé-création, c’est-à-dire en haine de l’être et du Créateur.
            Une illustration de ce classicisme essentiel nous est offerte par l’œuvre de Camille Corot. Né en 1796, mort en 1875, ce coloriste délicat reste à la marge des catégories historiques usuelles pour le XIXème siècle : il n’est certainement ni néoclassique, ni romantique ; il n’est pas non plus un réaliste dru à la Courbet, car le réel qu’il peint n’est pas âpre, mais poétique ; et il n’est pas davantage un pré-impressioniste, car il ne dissout pas les contours dans l’impression visuelle éphémère ; au contraire, il fait vibrer les formes dans la lumière pour en fixer la valeur pérenne. Concrétisons notre propos. Voici deux vues du Pont de Narni, ruine romaine sur le Tibre, parallèle à la via Flaminia, à quatre-vingt-dix kilomètres environ au nord de Rome: un thème parfait pour quiconque est sensible à l'équilibre et à la lumière du paysage romain. La première, exposée au Louvre, remonte à 1826, et de nombreuses monographies en font mention ; la seconde, qu’il faudrait aller jusqu’à Ottawa pour admirer, date de 1827, et peu d’ouvrages la citent, car elle a été réalisée en atelier, et non sur place, ce qui gêne un peu la sensibilité de nos contemporains, qui préfèrent ce qui porte la marque de la spontanéité. En contemplant l’une et l’autre, mais surtout la seconde, d’un regard qui ne soit pas prévenu, l’œil pense immédiatement à Claude Lorrain. Certes, les deux univers picturaux sont fort différents. Corot laisse peu entrevoir le dessin de ses sujets, alors que Claude le fait affleurer dans tous ses tableaux ; le pinceau du Parisien procède par petites masses de couleurs homogènes, tandis que le Lorrain recourt plus fréquemment à des variations chromatiques insensibles ; et, si l’on veut, les œuvres du premier ont un effet plus « réaliste », et celles du second, plus « idéal ». Mais, quelque notables que soient ces oppositions, elles ne devraient pas nous masquer la parenté qui unit ces deux paysagistes : tous deux font resplendir la luminosité de la nature, en évoquant une lumière qui n’est pas purement corporelle.

Camille Corot, Le Pont de Narni, 1826.
Paris, Musée du Louvre.

Camille Corot, Le Pont de Narni, 1827.
Ottawa, Musée des Beaux-Arts du Canada.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.