Benozzo Gozzoli, Le triomphe de saint Thomas d'Aquin, 1471

mardi 4 septembre 2012

Marceline Desbordes-Valmore : Le Nid solitaire

            Le rêve, l’envol, la nostalgie des origines : une psychologie bien matérialiste, en définitive, y diagnostiquerait volontiers je ne sais quel syndrome régressif ; et l’histoire des idées pourrait y discerner un thème néoplatonisant, voire même un peu gnostique… Mais si ces états de l’âme en révélaient, tout simplement, l’émergence au-dessus du temps qui s’écoule et la profonde aspiration méta-physique, que le Père seul pourra combler, dans l’autre vie ? C’est sur ces sommets que convergent, par des voies différentes, le poète, le peintre et le philosophe. Telles sont les pensées qui s’élèvent dans l’esprit lorsqu’il visite l’œuvre de la poétesse Marceline Desbordes-Valmore. Née à Douai le 20 juin 1786, morte à Paris le 23 juillet 1859 après une vie traversée de douleurs, contemporaine des grands  romantiques, elle n’est guère actuelle… ce qui nous donne une excellente raison de la lire. Voici un poème publié en 1860, dans le recueil posthume Poésies inédites qu’elle avait elle-même préparé.


Le Nid solitaire

Va, mon âme, au-dessus de la foule qui passe,
Ainsi qu’un libre oiseau te baigner dans l’espace.
Va voir ! et ne reviens qu’après avoir touché
Le rêve… mon beau rêve à la terre caché.

Moi, je veux du silence, il y va de ma vie ;
Et je m’enferme où rien, plus rien ne m’a suivie ;
Et de son nid étroit d’où nul sanglot ne sort,
J’entends courir le siècle à côté de mon sort.

Le siècle qui s’enfuit grondant devant nos portes,
Entraînant dans son cours, comme des algues mortes,
Les noms ensanglantés, les vœux, les vains serments,
Les bouquets purs, noués de noms doux et charmants.

Va, mon âme, au-dessus de la foule qui passe,
Ainsi qu’un libre oiseau te baigner dans l’espace.
Va voir ! et ne reviens qu’après avoir touché
Le rêve… mon beau rêve à la terre caché.

Marceline Desbordes-Valmore, «Poésies inédites»,
in Id., Poésies, Préface et choix d’Yves Bonnefoy,
Paris, Gallimard, 1983, p. 193.

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