Benozzo Gozzoli, Le triomphe de saint Thomas d'Aquin, 1471

samedi 25 janvier 2014

Une dimension du génie de Claude Lorrain : la maîtrise de la perspective

            Splendeur de la lumière ; clarté de la forme ; finesse de la palette : tels pourraient être les trois premiers aspects qui caractérisent le génie du Lorrain, sans l’expliquer cependant, car le génie n’est pas plus réductible aux procédés qu’il utilise que le tout ne l’est, en bonne métaphysique, aux parties qu’elle intègre. Un autre secret de ce même génie, nécessaire et insuffisant lui aussi, c’est la maîtrise de la perspective. Voici un dessin daté de 1668, Deux palais avec saint Alexis, alors que Claude avait 68 ou bien 63-64 ans, selon que l’on situe sa naissance en 1600 ou bien en 1604/1605 ; en tout état de cause, il s’agit d’une réalisation tardive, qui nous montre comment le peintre, même après avoir atteint sa pleine maturité artistique, n’hésitait pas à faire des « exercices de perspective », sans doute pour ne pas perdre la main. Dans un ouvrage collectif consacré aux dessins du grand Lorrain, nous lisons ceci :

Damish (1984) a analysé le système de perspective utilisé dans ce dessin. Comme d’habitude, Claude fixa l’horizon aux deux cinquièmes de la hauteur de l’image ; le point focal est situé sur l’axe vertical de la feuille. Comme dans le Christ devant Pilate (cat. 92), le système utilisé est celui de la costruzione legittima, avec un point de convergence à l’intérieur de l’image, alors que généralement Claude adoptait un système bifocal. Il s’ensuit que les lignes de construction sont toutes parallèles à la surface ou bien ce sont des orthogonaux ; l’image obtenue est, en quelque sorte, archaïsante et artificielle[1].

Le thème de cet « exercice », c’est saint Alexis, ce patricien romain qui, après avoir vécu en Terre Sainte, revint dans l’Urbs, et vécut sous l’escalier du palais de ses parents, sans que ceux-ci le remarquassent jamais. Claude a représenté ici la maison patricienne au premier plan, qui fait pendant à un édifice plus considérable, l’une et l’autre demeure s’élevant dans le port de la cité, où sont amarrés des vaisseaux. La perspective, et la construction tout entière du dessin, concourent – plus que ne voudraient probablement l’admettre des critiques contemporains – au sens de la scène. Alexis, en effet, est couché, oublié, sous la voûte de l’escalier qui conduit à la maison de ses pères, où toute la magnificence du site qui l’entoure lui demeure cachée, les architectures terrestres et marines aussi bien que la procession des nuages dans le ciel méditerranéen ; mais il est allongé pourtant au travers de l’axe central du dessin, qui mène au soleil, invisible et présent, vers lequel convergent toutes les lignes de perspective. L’astre du jour n’est donc pas qu’un prétexte, il est bien l’Alpha et l’Oméga de toutes les couches de signification que le spectateur est invité à discerner.

Claude Lorrain, Deux palais avec saint Alexis, 1668,
24,7 x 39,6 cm,
Haarlem, Teylers Museum.

Cf. http://participans.blogspot.it/2012/07/regards-sur-quarante-tableaux-ou.html



[1] Claude Gellée, dit le Lorrain, Le dessinateur face à la nature, Paris, Musée du Louvre – Somogy, éditions d’art, 2011, p. 268. L’article cité est celui de Hubert DAMISCH, « Claude, A Problem in Perspective », p. 29-44, in Pamela ASKEW (éd.), Claude Lorrain, 1600-1682 : A Symposium, Center for Advanced Study in the Visual Arts Symposium Series III, Washington 1984.

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