Benozzo Gozzoli, Le triomphe de saint Thomas d'Aquin, 1471

mardi 25 janvier 2011

Le ravissement de saint Paul

            Le 25 janvier, l’Église célèbre la conversion de saint Paul sur le chemin de Damas ; le 29 juin, elle en fête le martyre en même temps que celui de saint Pierre, et donc leur commune entrée dans la vie éternelle. Or entre sa naissance à la grâce et sa naissance à la gloire, l’Apôtre des Gentils eut le privilège d’une expérience mystique tout à fait unique, qu’il décrit ainsi :

Il faut se glorifier ? (cela ne vaut rien pourtant) eh bien ! j’en viendrai aux visions et révélations du Seigneur. Je connais un homme dans le Christ qui, voici quatorze ans – était-ce en son corps ? je ne sais ; Dieu le sait – cet homme-là fut ravi jusqu’au troisième ciel. Et cet homme-là – était-ce en son corps ? était-ce sans son corps ? je ne sais, Dieu le sait – je sais qu’il fut ravi jusqu’au paradis et qu’il entendit des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à un homme de redire.
II Cor. 12, 1-4.

Selon le Docteur Angélique, saint Paul eut alors la vision de l’essence divine, celle-là même qui constitue la béatitude éternelle et inamissible des élus ; mais à la différence de ceux-ci, ce fut pour un instant seulement. La preuve se trouve dans l’oxymore « paroles indicibles » (¥rrhta ∙»mata), qui caractérise ce que Dieu dit dans l’âme glorifiée, qui est Lui-même, qu’aucune créature ne peut dire[1] :

Sciendum est autem, quod secundum Augustinum, Paulus est raptus ad videndum divinam essentiam, quae quidem non potest videri per aliquam similitudinem creatam. Unde manifestum est, quod illud quod Paulus vidit de essentia divina nulla lingua humana potest dici, alias Deus non esset incomprehensibilis[2].

Étant transitoire, cet acte de vision n’a pas été participé par le corps, comme ce sera en revanche le cas pour les bienheureux après le Jugement dernier ; et c’est pourquoi saint Paul s’est trouvé comme hors de son corps.

            Poussin a tenté la gageure de représenter cet événement, dont l’objet aussi bien que le déroulement intime dépassent toute représentation, et il a si bien réussi qu’il a produit un de ses chefs-d’œuvre, et même paradoxalement l’un des plus faciles à déchiffrer. Le cadre est déjà très expressif : en bas et à l’arrière-plan, la plus belle nature, celle de la campagne romaine avec ses couleurs chaudes ; de bas en haut et au moyen plan, ce que la culture peut produire de plus noble dans le monde visible, un temple à l’architecture rigoureuse et monocolore, dont on ne voit que la partie inférieure. Au premier plan se déroule la scène du ravissement  - qui transcende la nature et la culture, et que Dieu seul peut accorder : trois anges vêtus de robes jaune, bleue et blanche, couleurs pures et surtout célestes  - le contexte nous interdit de dire ici « apolliniennes » - volent juste au-dessous de la nuée, symbole des théophanies néotestamentaires, et soutiennent l’Apôtre en extase, vêtu de vert et de rouge, couleurs terrestres, car il n’est pas soustrait définitivement à ce monde, bien que son front soit irradié par un éclair venu d’en-haut. Contre le mur, deux emblèmes : le glaive qui, en lui tranchant la tête, lui donnera pour toujours la gloire qu’il entrevoit maitenant ; et le livre, celui des épîtres qu’il laissera à l’Église pour son pèlerinage à travers les vicissitudes du temps. Doctor Gentium, ora pro nobis !

Nicolas Poussin, Le ravissement de saint Paul, 1649 - 1650.
Paris, Musée du Louvre.

[1] Cf. ST IIa-IIae, q. 175, a. 3, c: « Dicit enim [Apostolus] se audisse ineffabilia verba, quae non licet homini loqui: huiusmodi autem videntur ea quae pertinent ad visionem beatorum, quae excedit statum viae, secundum illud Is. 6, 4: Oculus non vidit, Deus, absque te, quae praeparantur diligentibus te. Et ideo convenientius dicitur quod Deum per essentiam vidit ».
[2] Lectura super secundam epistolam ad Corinthios XII, lect. 2 n. 461. En traduction : « Il faut savoir que, selon Augustin, Paul a été ravi pour voir l’essence divine, qui ne peut être vue par aucune similitude créée. Il est donc manifeste que ce que Paul vit de l’essence divine ne peut être dit par aucune langue humaine, sinon Dieu ne serait pas incompréhensible ».

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