Benozzo Gozzoli, Le triomphe de saint Thomas d'Aquin, 1471

mercredi 9 février 2011

Claude Lorrain et le puits de Jacob

            Voici un autre paysage biblique de Claude Gellée. Le peintre lorrain s’y inspire, avec quelque liberté, de l’histoire de Jacob que nous rapporte la Genèse, et plus précisément de la péricope suivante :

Jacob se mit en marche et alla au pays des fils de l’Orient. Et voici qu’il vit un puits dans la campagne, près duquel étaient couchés trois troupeaux de petit bétail : c’était à ce puits qu’on abreuvait les troupeaux, mais la pierre qui en fermait l’ouverture était grande. Quand tous les troupeaux étaient rassemblés là, on roulait la pierre de sur la bouche du puits, on abreuvait le bétail, puis on remettait la pierre en place sur la bouche du puits. […]
Il conversait encore avec eux lorsque Rachel arriva avec le bétail de son père, car elle était bergère. Dès que Jacob eut vu Rachel, la fille de son oncle Laban, et le bétail de son oncle Laban, il s’approcha, roula la pierre sur la bouche du puits et abreuva le bétail de son oncle Laban[1].

L’artiste ajoute à la scène Léa, sœur de Rachel, les deux femmes allant devenir les épouses successives de Jacob, à cause de la ruse de Laban.

            Sur le tableau, on reconnaît au premier plan Jacob à droite, les deux filles de Laban à gauche, et le troupeau de « petit bétail », c’est-à-dire de moutons, qui s’abreuve au puits, dont le couvercle a été ouvert et déposé vers l’avant. Un bosquet majestueux domine le premier plan aussi bien que l’ensemble de l’œuvre, qu’il divise nettement en deux moitiés. Il doit évidemment sa luxuriance à l’eau du puits ; mais peut-être fait-il aussi allusion à la postérité de Jacob, dont les deux femmes  enfanteront les pères des douze tribus d’Israël. Métaphore du gouvernement divin sur le monde et sur l’histoire, comme nous l’avons déjà suggéré, le soleil se dissimule en contre-jour derrière ces grands arbres, éclairant silencieusement l’événement providentiel qui se déroule aussi bien que la nature grandiose et délicate qui lui sert d’écrin.

            Au sujet de cet épisode, on évoquera d’abord la rencontre du Christ avec la Samaritaine, qui eut lieu près du puits de Jacob[2] :

Qui boira de l’eau de que lui donnerai n’aura plus jamais soif : l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source d’eau jaillissant en vie éternelle[3].

Et on se rappellera enfin que les Pères de l’Église, au témoignage de saint Thomas, interprètent la succession des patriarches comme celle des trois vertus théologales, et les deux femmes de Jacob comme les deux préceptes de la charité :

Moraliter autem Abraham nobis virtutem fidei per exempla Christi significat, cum de eo legatur: Abraham credidit Deo, et reputatum est ei ad iustitiam. Isaac significat spem, quia interpretatur risus, fuit enim gaudium parentum; spes vero similiter est gaudium nostrum, dum aeterna bona sperare facit et de eis gaudere. Abraham ergo genuit Isaac quia fides generat spem. Iacob autem significat caritatem. Caritas enim amplectitur duas vitas: activam per dilectionem proximi, contemplativam per dilectionem Dei; activa per Liam, contemplativa per Rachel significatur. Lia enim laborans interpretatur, quia activa in labore est; Rachel visum principium, quia per contemplativam principium, id est Deus, videtur. Nascitur ergo Iacob de duobus parentibus, quia caritas nascitur de fide et spe; quod enim credimus et speramus, diligimus[4].

Jacob, fils d’Isaac fils d’Abraham, comme la charité est fille de l’espérance, qui est fille de la foi ; puis Jacob épouse Léa et Rachel, qui signifient la vie active et la vie contemplative, l’amour du prochain et l’amour de Dieu.

Claude Lorrain, Paysage avec Jacob, Rachel et Léa près du puits, 1666.
Saint-Pétersbourg, Musée de l'Hermitage.


Vous trouverez ici la liste des tableaux et des dessins de Claude Lorrain que nous avons présentés sur ce blog, et que nous avons disposée selon l’ordre chronologique de la vie du peintre :
http://participans.blogspot.fr/2012/07/regards-sur-quarante-tableaux-ou.html


[1] Gn 29, 1-3 ; 9-10.
[2] Cf. Jn 4, 4-14.
[3] Jn 4, 14.
[4] Catena aurea in Matthaeum c. 1, lect. 2, in fine.

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