Benozzo Gozzoli, Le triomphe de saint Thomas d'Aquin, 1471

jeudi 17 février 2011

Nicolas Poussin, « Saint Pierre et saint Jean guérissant le paralytique »

            Pierre et Jean montaient au Temple pour la prière de la neuvième heure. Or on apportait un impotent de naissance qu’on déposait tous les jours à la porte du Temple appelée la Belle, pour demander l’aumône à ceux qui y entraient. Voyant Pierre et Jean sur le point de pénétrer dans le Temple, il leur demanda l’aumône. Alors Pierre fixa les yeux sur lui, ainsi que Jean, et dit : « Regarde-nous. » Il tenait son regard attaché sur eux, s’attendant à en recevoir quelque chose. Mais Pierre dit : « De l’argent et de l’or, je n’en ai pas, mais ce que j’ai, je te le donne : au nom de Jésus Christ le Nazaréen, marche ! » Et le saisissant par la main droite, il le releva. À l’instant ses pieds et ses chevilles s’affermirent ; d’un bond il fut debout, et le voilà qui marchait[1].

            Nicolas Poussin a représenté l’instant où saint Pierre tend sa main vers celle du paralytique, tandis que saint Jean prend son bras gauche. La composition est particulièrement rigoureuse, et s’ordonne autour de deux figures élémentaires, un triangle et deux groupes de verticales. Le spectateur note aussitôt, en effet, que les personnages sont regroupés à l’intérieur d’un schème triangulaire dont la base n’est autre que le dallage de l’avant-plan, et dont les deux côtés sont très nettement marqués : à gauche, il suit une ligne qui va de l’ombre projetée par le fidèle qui s’apprête, en bas à gauche, à gravir les degrés du Temple, jusqu’à un sommet qui se trouve dans le ciel, tout à fait au sommet et au centre du tableau ; à droite, l’autre côté du triangle passe au milieu du couloir délimité par l’homme en vert et orange qui monte les marches et le vieillard barbu en manteau bleu qui les descend. Cet espace est très fortement encadré par deux puissantes séries de lignes verticales : à gauche, les deux colonnes de la porte du Temple en marbre ocre-jaune, et le pilastre gris, à l’extrémité ; à droite, les façades en profil des deux palais, l'une jaune et l'autre blanche : autant d’indices qui accentuent la verticalité de la représentation, et donc la transcendance de l’événement représenté.
La perspective conduit d’abord le regard au centre du triangle, où se rencontrent la main de saint Pierre et celle de l’impotent, dans un geste conjoint qui rappelle celui du Père et d’Adam dans la fresque de Michel Ange à la Sixtine. Pierre est vêtu de jaune et de bleu, couleurs célestes : peut-être Poussin a-t-il ainsi voulu faire allusion à son autorité de Prince des Apôtres, et au pouvoir miraculeux, donc divin, qu’il exerce en ce moment précis ; Jean est représenté en rose et en vert clair, c'est-à-dire en rouge et en vert mêlés de blanc, ce qui pourrait symboliser sa jeunesse, et qui, en tout état de cause, équilibre l’ensemble, tout en soulignant le rôle de Pierre, peint en couleurs pures qui frappent davantage. Plusieurs procédés complémentaires contribuent à concentrer l’attention sur le miracle et sa concrétisation gestuelle. La toge bleu roi du vieillard et le manteau gris foncé du fidèle de gauche séparent, au premier plan, l’événement du monde extérieur. La main gauche de saint Jean, levée vers le ciel, est exactement pointée vers le sommet du triangle, et renvoie doublement, de ce fait, à l’origine divine du miracle.
Au total, l’œuvre s’échelonne sur trois niveaux. Au premier plan et en bas, nous assistons à la vie quotidienne du Temple à la neuvième heure : les personnages sont multiples, mais déjà rassemblés pourtant dans un triangle, symbole par excellence du sacré chez  Poussin. Au sommet des escaliers et au centre du tableau se déroule l’action par laquelle les Apôtres guérissent le paralytique et manifestent à la fois la toute-puissance de Dieu et la mission dont ils sont investis. Enfin, en suivant la droite qui passe par le pied de l’impotent et la main gauche de saint Jean, le regard se porte vers le sommet du triangle qui est à l’extrémité visible du ciel, c’est-à-dire vers le lieu invisible où réside le Christ dont Pierre est le vicaire et qui est l’auteur principal du miracle. En ce point, la représentation picturale se dépasse elle-même, pour évoquer une transcendance qui n’est pas représentable.

Nicolas Poussin, Saint Pierre et saint Jean guérissant le paralytique, 1655.
New York, Metropolitan Museum.



[1] Act. 3, 1-8.

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