« La Madonne à l’escalier s’est développée à partir de cette inscription des personnages dans un triangle comme à partir des liens qu’ils entretiennent avec les éléments architecturaux. Poussin redécouvrait là une disposition qu’il avait abandonnée depuis longtemps et le tableau semble y intégrer de lui-même ses éléments. Ainsi cette pomme que l’enfant Jésus accepte de la main de Jean introduit dans l’œuvre la nature – une nature cultivée -, le souvenir du paradis et la mémoire de la chute. Elle est le signe de cette faute qui fut interprétée comme une chute bénie (felix culpa) puisqu’elle conduisait à l’incarnation du Christ. Que Jésus prenne la pomme ; qu’Élisabeth épouse ici les formes de la Sibylle tiburtine de la fresque de Raphaël à Santa Maria della Pace ; que Marie, dont le pied repose sur un vase fermé, se donne pour l’Ève nouvelle et la figure d’une défaite de Pandore : autant de signes du rachat. Ces motifs signent le double dépassement du Mythe et de l’Antique en même temps qu’ils signifient le salut et la rédemption. Mais cette rédemption n’est pas donnée dans les temps futurs qu’indiquent la figure d’un Jésus, enfant, auquel il incombera ultérieurement de l’accomplir. Elle se présente plutôt comme cette rédemption qui n’est autre chose que la fin de l’histoire. La scène dépeinte est donc très logiquement une architecture de temple céleste et le point de vue choisi, situé très bas, dissocie clairement les espaces supérieurs des espaces inférieurs : les pieds d’Élisabeth et de Marie sont placés à la hauteur de notre regard ; une corbeille remplie de pommes, un vase et une petite boîte se trouvent sur une marche légèrement plus bas et entretiennent avec les personnages une relation tout analogue à celle que L’Annonciation institue entre Marie, l’ange et l’inscription.
Il s’ensuit que les personnages de la Madonne à l’escalier peuvent être perçus comme une représentation de la peinture : de pures apparitions évoquées par l’art de peindre. D’autant qu’avec les trois couleurs pures et primaires sur lesquelles tranche logiquement l’ombre de Joseph, cet art se donne ici dans son intégralité. Comme leur réconciliation, le double dépassement des temps mythiques et des temps historiques est le fait de la peinture – et d’une peinture qui présente le salut sous l’espèce d’une représentation[1]. »
Nicolas Poussin, La sainte Famille sur les marches, 1648. Cleveland, Museum of Art. |
[1] O. Bätschmann, Poussin, Dialectiques de la peinture, trad. fr. de C. Brunet, Paris, Flammarion, 1994, 95-97.
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