Nicolas Poussin, Paysage au repos, vers 1650-1651
Los Angeles, Paul Getty Museum
Nicolas Poussin, Sentier débouchant dans une clairière, entre 1635 et 1640
Los Angeles, Paul Getty Museum
Dans son excellente Métaphysique de l’être, Mgr André Léonard nous rappelle que le rapport de l’étant à son être, c’est-à-dire la différence ontologique, a pour analogué sensible le rapport de la forme colorée à la lumière[1]. Sans la forme, la lumière n’est pas visible pour nous ; sans la lumière, la forme colorée reste obscure ; mais c’est par la lumière que la forme est visible, et non l’inverse. Semblablement, l’esse n’est pas sans la forme - ipsum esse nondum est, disait Boèce repris par saint Thomas[2] ; la forme n’a pas d’être sans l’esse ; et c’est par l’esse que la forme ou, dans les composés, l’essence est en acte. Si cette analogie n’est pas vaine, alors elle signifie que la pensée de l’être trouve dans la peinture un puissant soutien, la distance qui sépare le sensible de l’intelligible étant évidemment sauve. En effet, la métaphysique cherche à faire voir, au terme du raisonnement et au-delà de lui, l’éclat de l’être dans l’étant, cependant que la peinture s’emploie à montrer, non sans la construction du tableau, mais au-delà d'elle, le resplendissement de la lumière dans une figura originale et dans les couleurs qu’elle intègre nécessairement.
Mais quelle peinture, nous demandera l’homme du XXIème siècle, plus blasé que cultivé ? Poser la question, à l’intérieur de la théorie de la participation qui est la nôtre, c’est y répondre : si la forme de l’étant est le médiateur de l’être, dont elle révèle une valence et laisse pressentir les autres, la forme picturale doit glorifier la lumière, dont elle fait apparaître une concrétisation et tient en suspens toutes les autres. Cela ne se peut sans la rigueur et l’harmonie, au rebours de toutes les esthétiques de la dissolution, qui éteignent la lumière dans l’informe. Risquons le mot : la peinture qui s’accorde à la métaphysique, et que celle-ci peut sans déchoir admettre en sa compagnie, c’est celle du classicisme. Et c’est pourquoi nous proposons aujourd’hui à nos lecteurs deux oeuvres de Nicolas Poussin, un sublime Paysage au repos puis un Sentier débouchant dans une clairière, nous promettant de revenir sur les liens qui unissent l’esthétique du plus grand, peut-être, de nos peintres français à la philosophie de l’être pris au sens plénier[3].
[1] Cf. A. Léonard, Métaphysique de l’être, Essai de philosophie fondamentale, Paris, Cerf, 2006, p. 385-387.
[2] Cf. Expositio libri Boetii De ebdomadibus, lect. 2.
[3] Citons déjà ce mot de Nicolas Poussin à propos du Caravage : « cet homme est venu au monde pour détruire la peinture », cité in L. Marin, Détruire la peinture, Paris, Éditions Galilée, 1977, p. 177 sq. Nous verrons plus tard que nous entendons le terme « classicisme » en un sens qui n’est pas historiquement surdéterminé, et qui pour cette raison est inclusif, non exclusif ; mais cela ne nous empêche pas de partager le jugement de Poussin, et même de discerner un rapport bien précis entre le goût de nos contemporains et la disparition de la métaphysique. Les deux destructions, du beau et de l’être, vont de concert.
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