Dans la Partitio sacrae Scripturae, dont Enrique Alarcon considère l’authenticité comme probable, saint Thomas divise les évangélistes en deux groupes. Les auteurs des trois synoptiques s’intéressent, nous dit-il, à l’humanité du Christ, et aux trois munera que l’Aquinate appelle ici des dignitates. Matthieu commence son évangile par la généalogie royale de Joseph, père nourricier de Jésus (Mt 1, 1-17), puis, après le récit de la Nativité, il continue avec la visite des mages (Mt 2, 1-12), que la tradition regarde comme des rois : c’est pourquoi le premier évangile est celui de la royauté du Christ. En Marc, la narration s’ouvre de manière assez abrupte par une citation d’Isaïe suivie de la mission de Jean Baptiste, le dernier et plus grand des prophètes (Mc 1, 1-9) : allusion à la fonction prophétique de Jésus. L’évangile de Luc, plus élaboré, débute dans le sanctuaire, lorsque l’archange Gabriel apparaît à Zacharie et lui annonce la conception du Baptiste (Lc 1, 8-22) ; et le dernier verset (24, 53) décrit les disciples au Temple après l’Ascension : voilà qui met en relief le rôle sacerdotal du Sauveur. Mais Jésus ne serait pas le Verbe Incarné s’il n’était pas le Verbe qui procède de Dieu le Père, et Dieu lui-même : et c’est pourquoi le privilège de saint Jean, parmi tous les écrivains néotestamentaires, est d’être le voyant qui contemple la divinité de celui qui l’aimait[1].
Nicolas Poussin a représenté saint Jean sur l’île de Patmos, dans un tableau qui est peut-être le plus saisissant parmi tous ceux qui sortirent de son pinceau. L’évangéliste est assis au premier plan parmi les ruines d’un édifice ancien, et il travaille à un manuscrit qui pourrait être l’Apocalypse. Il semble absorbé par l’objet de son œuvre, et comme indifférent à la nature qui l’entoure, à son ordonnancement géométrique immédiat aussi bien qu’aux perspectives parfaitement rythmées de l’arrière-plan. Mais n’est-ce pas parce qu’il voit, maintenant, cet univers et toute l’histoire qui s’y déroule dans la lumière du LÒgoj éternel ?
Nicolas Poussin, Saint Jean à Patmos, 1640. Chicago, The Art Institute of Chicago. |
[1] Cf. THOMAS AQUINAS , Hic est liber, p. 2, Partitio sacrae Scripturae : « Origo autem gratiae Christus est, Ioan. I: de plenitudine eius omnes accepimus, gratiam pro gratia, quia lex per Moysen data est, gratia et veritas per Iesum Christum facta est. In Christo autem est considerare duplicem naturam, scilicet: divinam: et de hoc est principaliter Evangelium Ioannis, unde incipit: in principio erat verbum et verbum erat apud Deum, et Deus erat verbum; et humanam: et de hac principaliter tractant alii Evangelistae, qui distinguuntur secundum tres dignitates, quae Christo homini competunt. De ipso enim quantum ad dignitatem regiam determinat Matthaeus; unde in principio sui Evangelii eum secundum carnem a regibus descendisse ostendit et a magis regibus adoratum. Sed quantum ad dignitatem propheticam determinat de eo Marcus; unde a praedicatione eius Evangelium incipit. Quantum vero ad sacerdotalem dignitatem determinat de eo Lucas; unde a templo incipit et a sacerdotio, et in templo finit Evangelium, et frequenter circa templum versatur, ut dicit quaedam Glossa Luc. II super illud: invenerunt eum in templo sedentem in medio doctorum ».
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.